Le ministre Decazes, favori de Louis
XVIII, s'appliqua constamment à
interdire les abords du trône aux
anciens Vendéens, et à tenir en
suspicion ceux qui avaient versé
leur sang pour la cause royale. On
affectait de faire répéter partout
que les guerres de Vendée n'avaient
rien eu de politique (1) et
n'étaient qu'un vaste brigandage
organisé pour assassiner les
voyageurs et les soldats isolés
derrière les buissons. C'était une
lourde faute, car si les princes
peuvent quelquefois être impunément
ingrats envers un serviteur isolé,
il n'est pas permis de l'être envers
un peuple entier. Les cris
d'individus sont étouffés par la
rapidité du mouvement politique,
ceux des masses retentissent
toujours. Après avoir solidairement
maudit ils accusent tout haut, ils
tuent ou désenchantent les fidélités
naissantes (2).
Pourtant, ces injustes préventions
s'apaisèrent un peu et la pitié
l'emporta sur la politique, lorsque
le Roi apprit que l'on comptait, en
1816, dans tout le paysinsurgé, plus
de trente raille ,veuves et cent
quarante mille orphelins victimes de
la guerre, et dont le plus grand
nombre n'avaient pour tout
patrimoine que des chaumières
incendiées ou de vieilles masures
inhabitables.Le gouvernement eut
honte de son ingratitude,et
distribua quelques maigres pensions
aux veuves et aux orphelins, mais ce
qui charma le plus quelques vieux
brigands, ce furent des épées
d'honneur remises au nom du Roi.
(1) Il y avait beaucoup de vrai dans
cette affirmation, mais cela ne
suffisait pas pour justifier
l'attitude des Bourbons vis-à-vis
des Vendéens.
(2) Crétineau, Tome IV, page 324.
VOYAGES DE LA DUCHESSE D'ANGOULÊME
EN 1823 ET DE LA DUCHESSE DE BERRY
EN 1828
Le voyage que fit, en 1823, la
duchesse d'Angoulême dans le
département de la Vendée, la revue
de 12.000 hommes qu'elle passa le 18
septembre sur le plateau des
Alouettes, où s'étaient rendus,
bannières déployées, les hommes des
anciens combats avec leurs armes, et
surtout celui de la duchesse de
Berry, qui vint en 1828, faire un
véritable pèlerinage dans tous les
lieux illustrés par les grands faits
d'armes de nos guerres civiles,
contribuèrent à resserrer les liens
qui unissaient les Vendéens aux
Bourbons. Le nom de la bonne
Duchesse donnée à
Marie-Caroline, mère du duc de
Bordeaux, devint vite populaire en
Vendée, et l'écho n'en était
qu'affaibli lorsque le vieux roi
Charles X, balayé par le mouvement
révolutionnaire de 1830, prenait le
chemin de l'exil.
POLITIQUE MESQUINE DU GOUVERNEMENT
DE JUILLET (1830)
LES RÉFRACTAIRES
Alors de sourdes, mesquines et
petites vengeances personnelles, des
bris de croix sur les chemins
exaspérèrent les populations. Des
attroupements royalistes se
formèrent au cri de vive Henri V, à
Pouzauges, à La Châtaigneraie, Les
Herbiers. L'instabilité était dans
toutes les volontés, dans les actes,
dans les événements mêmes, et à ce
moment encore, comme en 1815, les
étrangers ne parlaient rien moins
que de faire à la France le sort de
la Pologne. - Néanmoins, au milieu
des divergences d'opinion que
provoquait l'instabilité politique,
une idée pleine de nationalité
dominait tous les esprits et toutes
les les intelligences. La Vendée
ne voulait pas contribuer au
triomphe des puissances et assister
l'arme au bras à ce partage de
provinces françaises dont on
s'entretenait déjà. Mais malgré
tout, on put s'apercevoir que le feu
couvait encore sous la cendre.
Le général Lamarque, qui, en 1815,
avait loyalement combattu les
Vendéens, fut envoyé dans notre pays
pour examiner l'état des esprits et
en rendre compte au gouvernement.
Dans son rapport, il conseilla
fortement de ménager la Vendée et de
lui éviter d'inutiles et indignes
tracasseries mais ces sages conseils
ne furent point suivis, et bientôt
des visites domiciliaires, des
arrestations préventives, obligèrent
un grand nombre de royalistes à se
cacher au fond des bois. Les
réfractaires reparurent et se
réunirent en bandes, abattant les
drapeaux tricolores, résistant aux
gendarmes et se défendant jusqu'à la
mort.
Le gouvernement dut intervenir, et
des soldats furent envoyés sur
différents points de la Vendée, avec
mission de poursuivre les insoumis
et de se livrer aussi à des visites
domiciliaires continuelles qui
finirent par exaspérer les
campagnards. L'assassinat de
plusieurs paysans inoffensifs, la
mutilation des statues de Charette à
Légé, et de Cathelineau en Anjou,
celle du cippe funéraire de Torfou,
et de presque tous les monuments
élevés aux gloires vendéennes, le
désarmement des campagnes,
l'établissement de garnisaires,
proposé le 21 mars 1832 par le
député Luneau, et surtout la
confiscation des armes d'honneur
accordées par la Restauration aux
plus vaillants, indignèrent les
anciens combattants de 1793 et de
1815. Plusieurs défendirent, le
fusil à la main, contre les
gendarmes, les armes sur lesquelles
étaient gravés leurs noms.
Les gars de Maulévrier se
rassemblèrent sous la conduite de
Delaunay, un Vendéen de 1793, de
Caqueray, et de Diot, ancien
sous-officier de gendarmerie.
Pouzauges et La Châtaigneraie
s'agitèrent, la Bretagne, le Maine
et l'Anjou montrèrent aussi des
dispositions menaçantes, et tout
faisait prévoir un soulèvement
général des provinces de l'Ouest.
RÉUNION DES CHEFS
VENDÉENS A LA FETELIÉRE
DÉBARQUEMENT DE LA
DUCHESSE DE BERRY A MARSEILLE (28
Avril 1832)
SON ARRIVÉE EN VENDÉE
(Mai 1832)
SES TRAVESTISSEMENTS
Tel était l'état d'esprit dans les
anciennes provinces insurgées
lorsque Athanase de Charette, neveu
du général fusillé à Nantes et frère
de Ludovic tué en 1815, arriva
secrètement dans la Vendée, et
convoqua les principaux chefs
royalistes à la Fetelière, près de
Remouillé. Là il leur fit part des
ordres envoyés par la duchesse de
Berry. D'après son plan, la Vendée
ne devait se soulever qu'après
l'annonce des premiers succès qu'on
escomptait dans le Midi, surtout par
suite de la détresse dans laquelle
se trouvaient les ouvriers lyonnais.
En conséquence de cette
détermination, on ajourna la prise
d'armes et on attendit les
événements.
A ces événements, qui sont les
derniers de la Vendée militaire,
allait présider une femme de sang
royal, une émule de Jeanne d'Albret
et de Marie-Thérèse, en un mot la
mère de l'Enfant du Miracle,
Marie-Caroline des Deux-Siciles,
duchesse de Berry.
Frêle et petite, mais d'une
endurance étonnante, au moment où on
la croit toute entière au plaisir,
elle rassemble en sa petite main
tous les fils d'une vaste
conspiration. Passionnée comme les
femmes de sa race, dupe de son
imagination et de ses désirs, tour à
tour irritable et douce, énergique
et enjoleuse, elle captive le cœur
des marins génois qui l'admirent
comme une madone ; et après avoir
traversé la Hollande, l'Allemagne,
le Tyrol, Milan, Gênes, Rome, où le
pape la fait complimenter, elle
s'arrête quelques instants à Naples,
à Modène et Massa. Le 24 avril 1832,
à onze heures du soir, elle se rend
sur la plage, où l'attend un petit
vapeur, le Carlo-Alberto, et
dort sur le sable, enveloppée dans
son manteau, à la façon de Condé, à
la veille de Rocroy. Le lendemain
elle s'embarquait.
Le 28, elle débarque clandestinement
près de Marseille. Dès ses premiers
pas on la poursuit : alors, avec un
élan généreux, elle va frapper à la
porte d'un modeste garde-chasse,
d'un républicain, et lui disant qui
elle est, se fie à sa foi. Elle
avait bien jugé ; on ne peut être
un vrai républicain sans
chevaleresques sentiments ; il
s'incline et lui fait place à son
foyer. Là, elle apprend que le
soulèvement du Midi n'a été qu'une
manifestation ridicule, et que le
mouvement tenté en sa faveur dans la
ville de Marseille a échoué. Malgré
les conseils de ses amis qui
l'engagent à quitter la France,
cette femme, cette mère, cette
héroïne d'autrefois, repousse ces
avis et s'écrie : « Non, non ! j'ai
promis à la Vendée qu'elle pouvait
compter sur moi : elle m'attend et
j'y vole. » Arrivée dans le château
de M. de Bonrecueil, elle se sépare
du. maréchal de Bourmont qui
l'accompagnait, et chacun d'eux se
dirige de son côté pour ne pas
éveiller les soupçons de l'autorité.
Après avoir passé quelques jours au
château de Plassac, en Saintonge,
chez M. et Mme de Plassac ; elle
part en poste avec eux, traverse une
partie des Deux-Sèvres et arrive
nuitamment à Mareuil-sur-le-Lay, où
l'attendaient quelques amis armés
jusqu'aux dents, et bien décidés à
pénétrer dans la petite ville, si la
moindre difficulté se fut élevée sur
son passage. La duchesse put
traverser Mareuil sans encombre, et
gravir au pas de ses chevaux la côte
de Saint-André, gardée par des
Vendéens qui, une fois ce passage
franchi, rentrèrent chez eux, sans
avoir été troublés dans leur
expédition nocturne.

Mareuil-sur-le-Lay. - Le Pont,
l'Eglise et le Château.
Cliché Jules Robuchon.
Après avoir évité avec le même
bonheur tous les périls de la route
qui renaissaient à chaque village
occupé par les troupes, elle arrive
dans la matinée du. 17 mai, au
château de Preuilly, près Montaigu.
MADAME LA DUCHESSE DE BERRY A LA
PREUILLE (1832)
C'était le 17 mai 1832, dans la
matinée ; le colonel de Nacquart
était à, déjeuner avec quelques
officiers vendéens. M. de Charette
survint : on ne l'attendait pas.
Quelques mots adressés à voix basse
à M. de Nacquart le font tressaillir
; mais à peine a-t-il eu le temps de
se remettre de son émotion, qu'une
chaise de poste se fait entendre
dans la cour. M. de Nacquart se
précipite sur le perron, et il offre
son bras pour descendre de voiture à
Mme la Duchesse de Berry,
qu'accompagnent le marquis et la
marquise de Dampierre et le comte de
Mesnard. On traverse à la hâte la
salle à manger, on se retire loin
des regards curieux. Cependant M. de
Nacquart remercie Madame d'avoir
daigné se confier à son honneur
vendéen ; puis il semble attendre de
la princesse l'explication de cette
soudaine apparition ; elle n'était
pas difficile à donner.
Pleine d'espoir dans le succès d'une
conspiration habilement préparée à
Marseille, Madame, partie de Massa
le 24 avril, sur le
Carlo-Alberto, n'était arrivée
sur les côtes de France que pour
appréndre l'avortement de
l'entreprise. Découragés, tous ses
entours l'engagent à se rembarquer
immédiatement ; seule elle résiste,
le sol de la France lui coûte trop à
quitter !...et, se souvenant de
l'accueil que lui fit la Vendée en
des jours meilleurs, elle se résout
à. venir lui demander de risquer,
pour son fils, les chances d'une
nouvelle guerre ; il lui faudra
traverser toute la France,
n'importe, et se faisant une
prudence de son audace même, son
voyage s'opère heureusement, au
grand. jour et presque sans
déguisement. La fidélité de M. de
Nacquart lui est connue ; elle l'a
décidée à venir lui demander son
premier abri dans la Vendée.
« Mais il faut se hâter; un trop
long arrêt pourrait donner quelques
soupçons au postillon. Au reste il
n'est plus à redouter ; jouant mille
rôles divers avec un imperturbable
sang-froid, M. le duc de Lorges
avait accompagné Madame dans son
périlleux voyage à travers la
France; il était arrivé au château
de Preuille déguisé en domestique ;
comme tel, il avait été conduit à
l'offce, où il n'avait pas épargné
les rasades à son camarade le
postillon, qui plus que gai remonte
en selle, et ne s'aperçoit pas qu'on
lui a changé deux de ses voyageurs :
Mme la Duchesse de Berry et M. de
Mesnard.
« Cependant il faut chercher un lieu
plus convenable aux grands projets
qu'on médite. Un guide sûr est
trouvé ; c'est M. Guignard ; et sous
sa conduite, la princesse, travestie
en paysan, se rend d'abord aux
Mortiers, près de Remouillé, à
quelques kilomètres de la Preuille.
Son costume est changé, son nom doit
l'être aussi : désormais ce ne sera
plus Mme la Duchesse de Berry, ce
sera Petit-Pierre.
Petit-Pierre prend un repos de
quelques heures, mais le sommeil
d'un proscrit est compté ; Mesnard
et Charette, aussi déguisés, sont
venus rejoindre la princesse, et,
sur les neuf heures on part pour
gagner un nouvel asile. La route est
longue, mais un gué dangereux peut
la raccourcir. On se hasarde à le
traverser : au milieu des ombres
d'une nuit sans étoiles, le paysan
qui donne la main à Madame glisse
sur les pierres mal assurées, et
entraîne la princesse, qui disparaît
dans les eaux de la Maine. M. de
Charette parvient avec peine à la
retirer. Entièrement glacée sous ses
habits imbihés d'eau, Madame ne
pouvait continuer la route en cet
état. Elle retourne aux Mortiers, y
change de vêtements, et une
demi-heure après, repart à cheval et
dans d'affreux chemins.... (1) ».
Arrivée au château de Bellecour, en
la paroisse de Montbert, elle y
passa pour se reposer de ses
fatigues et correspondre avec les
chefs les plus influents de la
Vendée, les 18, 19, 20 et 21 mai.
Elle y reçut plusieurs visites,
gardant toujours son costume, qui se
composait d'une perruque en cheveux
châtains plats, recouverte d'un
petit bonnet de laine noire, d'une
veste verte avec des boutons d'un
métal terne, d'un gilet jaune sale
et d'un pantalon bleu eu coutil
ayant un large bouton au milieu.
(1) Extrait des Echos du Bocage
Vendéen, année 1885, No II, pages
57-58.
LE SOULÈVEMENT EST CONTREMANDÉ (24
Mai 1832)
De Montbert la duchesse se rendit
dans une maison près de
Saint-Etienne-du-Bois, et de là aux
Mesliers, où se tint un conciliabule
avec le propriétaire, M. de la
Roche-Saint-André, et MM. de
Goulaine et de Goyer, qui ne lui
dissimulèrent point que le
soulèvement fixé au 24 mai n'avait
aucune chance d'aboutir, puisqu'on
attendait toujours l'effet des
promesses du Midi. La princesse,
très perplexe sur le parti à
prendre, se décida enfin à faire
donner contre-ordre aux commandants
de division, après avoir pris l'avis
de Berryer, qui était arrivé le 23
mai, à onze heures du matin, au
château de la Grange, chez M. de
Goulaine.
Tous ces ordres et contre-ordres
firent manquer le mouvement.
D'ailleurs pour tout observateur
impartial, il n'y avait plus, en
1832, ce calme plein de force des
soulèvements de 1793, cet amour du
foyer domestique poussant à la mort
ou à la victoire, cette sombre
énergie du désespoir qui, en un seul
jour, de cent mille paysans
inoffensifs créait autant de héros.
Le but de la, guerre s'était
identifié dans une mère qui, au nom
de son fils orphelin, faisait appel
à tous les sentiments de gloire et
de famille des royalistes.
Quelques-uns parmi les chefs,
avertis à temps ne bougèrent pas,
tandis que d'autres, instruits trop
tard ou doutant de la vérité,
entrèrent quand même en campagne,
mais ne firent que des tentatives
partielles qui ne pouvaient aboutir,
car rien n'était prévu.
AFFAIRE DU PORT-DE-LA-CLAYE (23 Mai
1832)
C'est ainsi qu'une vingtaine
d'hommes attaquèrent, le 23 mai, le
poste du Port-de-La-Claye, où ils
perdirent un des leurs. Le
lendemain, le jeune de Marcé avant
appris le contre-ordre, revenait du
Champ-Saint-Père chez lui,
accompagné de M. de Trié, ancien
officier, lorsqu'au lieu même où
avait eu lieu le combat de la
veille, il est rencontré par un
nommé Fréron, accompagné d'un
bourgeois du pays.
Attaqué par eux à l'improviste, il
est désarmé et reçoit en s'éloignant
une balle dans la cuisse.
Réfugié dans une maison du village
et étendu sur un coffre, il se
croyait en sûreté, lorsque le
sergent, qui l'avait suivi de près,
entra tout à coup dans la maison, et
lâchement tira à bout portant sur un
ennemi désarmé. La croix de la
Légion d'honneur fut la triste
récompense de cette mauvaise et
criminelle action.
SAISIE DE LA CORRESPONDANCE
ROYALISTE
MEURTRE DE CATHELINEAU (27 Mai 1832)
Le 26 mai, à la suite d'une alerte,
Madame ne se croyant plus en sûreté
aux Mesliers, se dirigea,
accompagnée par Mlle Eulalie de
Kersabiec, surnommée Petit-Paul,
vers une ferme voisine pour y passer
la nuit. Mais tout danger ayant
disparu momentanément, et après
avoir caché divers effets laissés au
hasard dans sa maison, M. de la
Roche-Saint-André engagea la
princesse à revenir chez lui.
Mais la saisie des correspondances
royalistes, faite le 28 mai, au
château de la Charlière, près
Nantes, chez M. de l'Aubépine par le
général Dermoncourt, avait mis les
émissaires de Louis Philippe au
courant de toutes les affaires du
parti, et allait achever d'entraver
les efforts de ceux qui avaient pris
les armes.
Ce jour même on apprenait, que
Jacques Cathelineau, le fils de
l'ancien généralissime, venait
d'être tué au château de la
Chaperonnière, près Baupréau, où il
s'était réfugié avec MM. Moricet et
de Civrac. Caché derrière une
trappe, Cathelineau entendait les
malédictions et les menaces
proférées surtout par l'officier de
gendarmerie Mazion contre le fermier
Guinehut, qu'il voulait forcer à
découvrir le lieu de la retraite.
Craignant qu'ils ne se portassent
contre lui aux dernières extrémités,
il parut tout à coup à l'entrée de
sa cachette et s'écria : « Ne tirez
pas, nous sommes sans armes, et je
me rends ». Ces paroles étaient à
peine prononcées qu'un coup de feu
tiré par le lieutenant Régnier, du
29° de ligne, atteignit à bout
portant le malheureux Cathelineau.
Il tomba mort au pied de l'échelle ;
ses deux amis, couverts de son sang,
furent faits prisonniers ainsi que
Guinehut. Le lieutenant Régnier osa
dire pour excuse qu'il avait ses
ordres ; cela est probahle, car
un mois après, il recevait; comme le
sergent Fréron, la croix de la
Légion d'honneur, trop souvent
indignement prostituée.
DÉPART DE PETIT-PIERRE DE MESLIERS
(31 Mai)
Dans la nuit du 31 mai,
Petit-Pierre, monté en trousse
derrière M. de La Roche-Saint-André,
et Petit-Paul derrière M. de
Mesnard, quittèrent les Mesliers, et
se dirigèrent, après mille
péripéties, d'abord vers
Saint-Etienne-de-Corcoué, ensuite
vers Saint-Colombin , d'où la
princesse fut conduite à La
Moucheterie, chez le vieux La
Roberie, dans une maison qui lui
était destinée et où elle arriva
vers trois heures du matin. Le vieux
lieutenant de Charette, après avoir
fait effacer par ses fidèles paysans
l'empreinte des pas de Madame sur la
poussière des chemins, voulut
lui-même la conduire plus loin avant
d'aller mourir pour son service.
RASSEMBLEMENTS DIVERS
Le 3 juin, un rassemblement
provisoire eut lieu dans la lande
des Urgeries, et le lendemain, lundi
4, il s'effectua à Maisdon, où il
s'empara de la cure, dont il fit son
quartier général. En même temps
Pont-James était emporté par La
Roberie. Les cantons de Loroux,
Vallet, Clisson, Vieillevigne,
etc.., se mettaient en mouvement,
tandis que le général Dermoncourt
averti, se portait rapidement vers
Aigrefeuille pour prêter main-forte
à la garde nationale.
Henri de Puyssay à la tête de cent
hommes seulement, livrait, de son
coté, près de Maisdon, un combat où
il fut blessé, et Charles de
Bascher, ancien colonel de la
division de Charette, vieillard de
soixante-douze ans, qui avait voulu,
malgré son âge, prendre part à la
guerre, tombait entre les mains des
soldats qui le blessèrent d'ahord,
puis l'achevèrent à coups de
baïonnette, sans vouloir lui
accorder un quart d'heure qu'il
implorait pour recommander son âme à
Dieu.
ENGAGEMENT DE LA CARATERIE (6 Juin
1832)
De pareils excès, que la victoire ne
devrait jamais autoriser, portaient
l'effroi dans les âmes : ils
n'empêchèrent cependant pas Louis de
Cornulier de tenir la promesse qu'il
avait faite à Madarne et lui qui, à
la Fetelière, avait été l'un des
plus opposants, attaqua le 6 juin,
près du château de la Caraterie, un
bataillon de ligne, ayant à sa tête
le colonel Phelipeaux; tout à coup
ce bataillon est renforcé par deux
compagnies de grenadiers et par la
garde nationale de Machecoul.
Cornulier, avec quatre cents hommes,
ne perd pas courage et tient tête
aux assaillants, mais un nouveau
hataillon accourt, et les Vendéens
ne pouvant plus lutter contre des
forces quatre fois supérieures, se
retirent dans un petit bois et
s'égaillent.
COMBAT DU CHÊNE (6
Juin)
Le jour même où avait lieu
l'engagement de la Caraterie,
Charette, La Roberie et Aimé du
Temple, commandant la division de
Légé, avaient opéré leur jonction et
s'étaient portés au village du
Chêne, près de
Saint-Philhert-de-Bouaine (1), où
ils ne tardèrent pas à se trouver en
face de l'ennemi. La troupe de
Charette se composait en ce moment
d'à peu près six cents paysans et de
la compagnie nantaise, troupe
royaliste d'élite dont le chef était
Frédéric La Roche, et où l'on
comptait Couétus, le duc de Lorges,
les deux Monti de Rezé (2), Emerand
de la Rochelle, Adolphe de Biré,
Bruneau de la Souchais, père de onze
enfants et ancien juge au tribunal
de Nantes, etc.
Les Vendéens, après avoir traversé
le ruisseau de l'Issoire, engagèrent
vivement l'action, mais leurs balles
ne frappaient que sur les murailles
des maisons dans lesquelles s'était
embusqué l'ennemi. Déjà plusieurs
sont tombés sous le feu, lorsque
Charette, qui les a rangés en
balaille s'écrie : « Laissez-les
approcher et en avant ! »
La fusillade redouble, les soldats
tirent sans cesser, cachés qu'ils
sont par les fenêtres ou derrière
les angles des murs. Le pont
construit sur le ruisseau qui les
sépare du village ayant été détruit
par Aimé du Temple avant le combat,
et quelques insurgés hésitant à
franchir le cours d'eau, Edouard de
Kersabiec, de la Souchais, Edouard
et Pascal du Temple et Edouard Monti
de Rezé, aide-de-camp du général,
s'élancent sous le feu de l'ennemi
et traversent l'Issoire. La Souchais
reçoit une halle dans le bras droit
; Monti voit son espingole brisée
dans ses mains. Encouragés par
l'exemple de leurs chefs, les
Vendéens se jettent à l'eau, et la
baïonnette au canon ils poursuivent,
l'épée dans les reins, l'ennemi qui
recule et se retire de village en
village sur la trace de la garde
nationale de Vieillevigne, qui lui
donne l'exemple de la fuite.
Cependant un bataillon du 44° est
rangé en bataille hors du village.
Sur les pas de leur général les
royalistes se jettent à sa rencontre
; les uns se déploient en
tirailleurs, d'autres, pendant deux
heures comhattent en face et
succombent, comme Bonrecueil (3) et
de Trégonnain. Après une lutte
acharnée de deux heures, les
Vendéens demeuraient maîtres du
champ de bataille mais tandis que
Charette faisait distribuer des
soins aux blessés et du pain à ses
Chouans, ces derniers s'aperçurent
qu'ils allaient être cernés. Malgré
les ordres du général, qui se
précipitait pour les rallier, ils se
débandèrent et purent, sans trop de
perte, arriver au Claudi, où
Charette les licencia en les
ajournant à des temps meilleurs...
Pendant ce temps, quelques habitants
de la contrée recueillaient sur le
terrain de la lutte des valises
bondées d'or qu'avaient abandonnées
les fugitifs, et avec ce produit,
achetaient quelque temps après des
propriétés. Il y a même des paysans
qui, dit-on, ne craignirent pas
d'arracher à des mourants leurs
montres et leurs bijoux (4)
Retirée dans la paroisse de
Saint-Colombin, la duchesse de Berry
n'avait pu prendre part au combat du
Chêne, car Charette avait enjoint à
Libaut de la Chevasserie de veiller
sur elle, et à tout prix de retenir
son courage, Mais traquée par la
police qui fouille toutes les
maisons, elle est contrainte avec sa
suite de se cacher dans un fossé
rempli d'herbes. Pendant six heures
consécutives, les soldats qui
avaient été signalés se dirigeant
vers la ferme se livrèrent aux plus
minutieuses recherches, mais en
vain, et le danger passé, la
duchesse de Berry, qui avait pansé
avec les soins d'une mère Bruneau de
la Souchais, blessé au combat du
Chêne, put gagner un nouvel asile.
(1) Dans la nuit il avait fait cuire
plusieurs fournées de pain au
village de La Laudonnière.
(2) Un d'entre eux, Edouard, avait,
quelque temps auparavant, aperçu
dans la forêt de Machecoul le
général Dermoncourt, escorté de son
aide-de-camp et de trois gendarmes.
(3) M. Bosc de Bonrecueil, 34 ans,
capitaine en demi-solde, marié,
était des Bouches-du-Rhônes, il
avait eu les deux jambes fracassées.
A la suite de sa blessure, il se
traina sur les genoux jusqu'au
village de la Couëratière. Là un
misérable chez qui il entra pour se
reposer, après l'avoir dépouillé de
son or, le jeta brutalement à la
porte. Après bien des traverses, il
fut recueilli par la troupe à
Saint-Philbert et transporté à
Rocheservière, où il subit
l'amputation des deux jambes sans
aucun succès. Il mourut le 17
,juin....
Son épitaphe se lit encore au
cimetière de Rocheservière,
(4) Ainsi la montre du comte
d'Huache tomha entre les mains d'un
individu de Landefrère.
(Échos du Bocage, cinquième
année, n° III, page 83).
A 120 mètres du ruisseau de
l'Issoire et près du village du
Chêne, limite de Vieillevigne et de
Saint-Philbert-de-Bouaine, sur un
tumulus ou ossuaire, s'élève, une
croix avec l'inscription suivante :
1864
BARON DE LA BROUSSE,
La croix fut élevée en ce lieu en
1834 par le baron de la Brousse.
COMBAT DE LA PÉNISSIÈRE
Tandis que du côté de Vieillevigne
Charette combattait au Chêne, et que
La Roberie à ses côtés, cherchait
les armes à la main à venger la mort
de sa fille Céline, tuée à 15 ans
par un coup de feu, au moment où
elle s'enfuyait du château de son
père, quarante-cinq royalistes du
corps de La Rochejaquelein venaient,
le 5 juin, s'abriter contre l'orage
au manoir de la Pénissière de la
Court, commune de la Bernardière.
C'est là que devait s'accomplir un
des plus beaux faits d'armes de
l'histoire ancienne et de l'histoire
moderne, un de ces sublimes épisodes
de nos guerres civiles, où courage,
héroïsme, dévouement, furent
prodigués, comme on les prodigue à
chaque pas dans notre histoire, et
qui, à soixante-dix ans de distance,
est toujours demeuré vivant dans la
mémoire des vieillards du pays.
« La Patrie blessée condamne ces
cruels héros, mais de même qu'une
mère, fière de ses fils ingrats,
elle relève la tête quand elle
entend louer par d'autres « leurs
luttes terribles dont elle a saigné
».
Au mois de juin 1832, Clisson, qui
avait pour garnison un bataillon du
29e de ligne, commandant Georges,
était un centre patriote isolé au
milieu de populations hostiles de
Montfaucon, Boussay, Torfou,
Saint-Hilaire du Bois, etc. Un grand
nombre d'insurgés, avec la pensée de
s'emparer des fusils des gardes
nationaux de Cugand et de la
Bruffière, s'étaient concentrés dans
la paroisse de la Bernardière, qui
relevait de la division de La
Rochejaquelein. Le 7 juin, le hameau
de Fouques ayant été sérieusement
menacé par les Vendéens qui, maîtres
de la Bernardière, simulaient une
attaque sur Cugand, la garde
nationale de Clisson, renforcée de
quelques gendarmes et d'une
quinzaine de militaires, attaque
l'église de la Bernardière, où
s'étaient barricadés les Chouans.
Trompés sur le nombre de leurs
adversaires, les Vendéens se
dirigent vers la Pénissière de la
Court, vieille maison bourgeoise «
mansardée, couverte en tuiles et
percée de quinze ouvertures
dispersées sans aucune symétrie. A
la maison d'habitation était adossée
la chapelle, qui faisait face au
midi et donnait sur un vaste jardin
planté de vieux arbres. Au dessus
des fenêtres du jardin s'élevaient
les fenêtres du rez-de-chaussée, à
une hauteur d'une douzaine de pieds.
Au nord, un pré formant vallon,
couvert d'eau, à l'ouest la cour
principale, dont les murailles
étaient hautes de 4 à 5 mètres.
Cette cour était, en communication
avec la maison du fermier ».
Dans le château se tiennent, résolus
à une défense opiniâtre,
quarante-cinq hommes, ayant pour
chef un ancien officier de la garde
royale, Eugène de Girardin, que
secondent ses trois frères Egisthe,
Victor et Emmanuel. A leurs côtés se
tiennent de Chevreuse, les trois
Fouré, les deux Aubert, les deux
François Levèque, Aucler, Jamin,
Aubry-Leclerc, Raffegeau, Motreuil,
Joulin père et fils, Mony, Augé,
Bondu, Juret, Guinefolle, Thomassy,
Bouleau, Jary, Touche, Mounier,
Blandin, Ripoche, Gazeau, Martin,
Viaud, Papin, Hérouet, Auray,
Guichard et les deux Poiron. Dans
cette héroïque phalange se
rencontrent quelques nobles, des
séminaristes de Beaupréau, dont
quelques uns avaient à peine 17 ans,
et surtout des paysans jeunes et
vieux « qui, unis par les liens
d'une étroite parenté, se sentent
forts en se serrant les coudes, et
surtout en caressant de la main de
lourdes espingoles de cuivre, qu'ils
chargent jusqu'à la gueule de
dix-huit à vingt-cinq balles. Sans
doute quelques uns parmi les
combattants, poussés par leur sang
et excusés par leur âge, ignoraient
que la guerre civile est un crime ;
mais du moins quand ils allaient
lutter contre des Français qu'avait
portés la même terre, ils étaient
mus par un bel enthousiasme et un
bel élan de dévouement; en tombant
pour leur fidélité et leurs princes,
ils montraient qu'ils étaient de
cette race généreuse qu'avait
enfantée les temps de Révolution, et
qui est remplacée en nos jours
languissants « par une génération
qui, dès l'adolescence, se traîne
trop souvent, sans chaleur, sans
haine et sans amour (1) ».
Trop peu nombreux pour opérer
avantageusement contre une troupe
qui les avait salués d'une terrible
décharge de mousqueterie, les
philippistes, qui s'étaient
sérieusement rafraîchis dans le
cellier de la Pénissière, attendent
au port d'armes qu'il leur vienne du
renfort. Bientôt quarante-cinq
hommes arrivent et alors on prend
l'offensive vers onze heures, en
enfonçant les portes d'une maison de
fermier, en communication avec la
cour du côté de l'est.. « Un garde
national, tailleur de pierres de son
métier, pratique une ouverture dans
le mur d'un bâtiment servant de
pressoir et la fusillade s'engage. »
Neuf à dix espingoles, maniées par
les plus habiles tireurs vendéens et
rechargées avec rapidité par les
camarades placés derrière, font
pleuvoir une grêle de balles sur les
assiégeants, pendant que le clairon
Monnier souffle l'ardeur aux siens,
en jetant aux champs un appel
désespéré. Les soldats, embusqués,
ripostent, mais leurs balles vont
s'aplatir sur les murs sans blesser
personne. Au bout de plusieurs
heures, et désespérant de les
forcer, on songea à un autre moyen.
Les plus courageux, ayant à leur
tête Charbonneau, compagnon
couvreur, s'élancent et vont se
loger dans la chapelle, distante du
pressoir de sept mètres environ. Du
chœur, par une fenêtre, ils
observent les croisées du château
qui font face, et là, l'idée de
faire « flamber les chouans » émise
par Charbonneau, dit Frise-Poulet,
est accueillie par des bravos. Le
grenadier Fléchaud, d'un coup de
crosse fait voler la croisée du
chœur en éclats, et par là, on jette
auprès des abat-vent du
rez-de-chaussée, des fagots de
fournilles et genêts qu'on
transporte au bout des baïonnettes.
Ensuite, on enflamme une pincée de
poudre dans le bassinet d'un fusil,
on y allume une poignée de filasse
et Fléchaud s'élance attacher la
mèche incendiaire aux fagots. Sept
balles lui transpercent les cuisses.
Il tombe. Les camarades, exaspérés,
sortent à leur tour. Les fagots
flambent bientôt, aux
applaudissements des militaires et
des nationaux. L'incendie dévore le
bois des fenêtres, de la porte ; et
la fumée, qui entre par les
ouvertures, force les défenseurs à
évacuer le rez-dechaussée.
Il pouvait être alors entre trois et
quatre heures. A quatre heures, la
face du combat change avec le
commandant Georges, qui, à 11 heures
et demie du matin, fouillait
Maisdon, s'emparait des munitions
cachées dans la cure et à trois
heures et demie était de retour à
Clisson. Là, il apprend qu'on se bat
à la Pénissière, distante d'une
lieue. On dépose les sacs, on bat
l'appel et au pas de course le
bataillon s'élance dans la direction
de la fusillade.
A quatre heures, le commandant, avec
ses cinq ou six cents hommes, prend
ses positions de combat : « il place
à l'arrière-garde un peloton de
militaires et de nationaux qu'il
charge de veiller sur ses derrières,
en même temps qu'ils garderont les
blessés étendus sur de la paille et
des couvertures, dans un hangar
attenant à une maison de fermier,
sise en dehors des murs d'enceinte.
Puis la bataille commence. Le
tambour bat la charge, les
grenadiers s'élancent, poussant des
hurrahs formidables. Les partisans
ripostent en criant : « Vive Madame!
Vive Heuri V ! Vive la ligne ! A
mort les nationaux ! Le clairon de
Monnier répond par des sons
stridents, d'une étonnante énergie,
aux roulements du tambour ; la
flamme qui crépite mêle son
grondement, au bruit général ».
Les portes, les croisées sont mises
en pièces, à coups de barres de fer,
à coups de fusils tirés dans les
serrures. La foule hurlante
s'engouffre dans le rez-de-chaussée
qu'elle trouve désert, quand, entre
les solives, par les intervalles du
plancher décarrelé, les espingoles
jettent le désordre dans la troupe
des assaillants. Un caporal tombe
mortellement frappé, plusieurs
grenadiers sont blessés. Des cris de
rage répondent aux cris de triomphe
sauvages. - Encore une fois la
troupe recule. Mais on vient de
découvrir une échelle ; on
l'applique au mur, et un soldat plus
audacieux que ses compagnons, enlève
plusieurs tuiles du toit et lance
dans la charpente un brandon allumé.
Là encore, l'incendie se propage
avec rapidité. Le feu sur la tête,
le feu sous les pieds, la petite
troupe de Girardin semble une troupe
de diables qui se jouent dans une
fournaise. Et le clairon, et le
tambour et l'incendie font rage.
Malgré le feu des fenêtres, un
peloton de sept hommes se risque
dans le jardin.
Aussitôt, quatre espingoles sont
braquées sur les imprudents. Desnos,
tambour de la garde nationale, a son
bonnet de police traversé par une
balle ; un officier, un bouton de
son habit emporté : mais pas de mort
à déplorer.
A la fin, la situation était devenue
intolérable pour les assiégés : le
jeu prenait au plancher. Placés sur
le palier, étouffés par la fumée
ardente, brûlés par le feu qui les
embrase, ils renversent leurs
ennemis dont les baïonnettes se
dressent jusqu'à eux. A chaque coup
ils jettent leur cri de « Vive le
Roi ! » et le clairon sonne
toujours ses fanfares. Mieux valait
risquer une sortie que d'attendre le
moment où il faudrait périr dans le
brasier. « Alors, dit Loudun, ces
jeunes gens, qui depuis de longues
heures se battent en héros, se
retrouvent en ce moment solennel
hommes et chrétiens ; tous ils
mettent un genou en terre ; l'un
deux récite à haute voix la prière
des morts et les autres en chœur lui
répondent ; puis fortifiés d'une
sublime espérance, ils se relèvent
et se saisissent les mains pour un
suprême adieu » De Girardin confie à
Levêque le commandement de huit
hommes qui resteront dans le château
pour couvrir la retraite du reste de
la bande, et aussitôt ils descendent
l'escalier, ouvrent la porte. Les
uns sautent dans le jardin, les
autres dans la prairie du Nord. A
cet endroit les fenêtres ont huit
mètres de hauteur. Heureusement
qu'un grand prunier élève ses
branches presque à ce niveau ;
s'élancer sur une branche,
s'abaisser avec elle, et, grâce à ce
jeu de tremplin, dégringoler dans le
pré sans se faire de mal, tel est le
parti qu'embrasse la majorité. Une
fois dans la prairie on avait de
l'eau jusqu'à mi-jambes. De là on
gagnait un champ de genêt où il
était facile de disparaître.
Déjà une partie de la troupe s'était
échappée sans bruit, quand, le
commandant, qui s'aperçoit de la
fuite, donne l'ordre d'ouvrir une
brèche dans le mur du jardin pour
surveiller la sortie. En ce moment,
Emmanuel de Girardin sautait du
prunier. « Plusieurs coups de feu
l'étendent mor ; Egisthe, Mony,
Gazeau, Leclerc, Juret, sont les uns
fusillés, les autres percés de
baïonnettes au moment où ils
essaient de s'enfuir... » En un
instant sept d'entre eux étaient
tombés morts.
A six heures et demie arrive un
nouveau renfort de cent hommes qui
veulent prendre part à la chasse à
l'homme, fouillent les taillis,
tuent ceux qui font feu, et parmi
eux un nommé Douillard, qui passait
pour être chef de paysans.
Neuf heures. La nuit vient. Plus de
cartouches et deux espingoles hors
de service. Levêque voit que toute
résistance est désormais inutile ;
mais se rendre, jamais ! Au-dessus
du château en flammes, l'orage
gronde toujours. Partout la mort.
Blottis dans l'angle d'une grande
chambre, les huit abandonnés qui se
sont sacrifiés pour sauver leurs
compagnons attendent, frémissants
d'impatience, l'heure fatale qui
approche. Le toit embrasé éclate et
s'abîme sur eux. Heureusement un pan
de mur détourne l'avalanche du feu.
La trouée qui vient de se faire leur
donne un peu d'air frais ; il
n'était que temps, la fumée
commençait à les asphyxier. Le ciel,
en même temps, fait ruisseler une
pluie d'orage qui apaise la flamme
autour d'eux. Bientôt, ils ont
découvert l'échelle abandonnée le
long du mur de façade. Ils
descendent. Levêque veille et ne
sort du manoir que le dernier. Ils
s'en vont, emportant sur leurs
fusils disposés en litière, un de
leurs compagnons que la fièvre avait
empêché de combattre. Et au moment
où Georges les croit ensevelis sous
des monceaux de cendres, ils sont en
lieu sûr.
Le lendemain on fit des
perquisitions dans le château
abandonné. Sur un mur on put lire
une inscription tracée au charbon
« Mort aux traîtres de Z... » en
toutes lettres. On découvrit des
cachemires, des couverts d'argent,
des espingoles, une soutane, mais on
ne mit la main sur aucun partisan de
la duchesse.
La victoire coûta à l'armée
philippiste dix blessés et quatre
morts, dit le commandant Georges
dans le rapport qu'il expédia au
général Dermoncourt à la date du 15
juin. A cette date, c'està-dire huit
jours après, la Pénissière brûlait
encore (2). - De son côté
Crétineau-Joly, dans le récit qu'il
fait du combat de la Pénissière (3)
prétend que les troupes régulières
laissèrent sur le champ de bataille
deux cent cinquante des leurs, sans
compter de nombreux blessés. Ce
chiffre est également donné par de
Brem et Johanet. Il est assez
difficile de démêler la vérité dans
ces chiffres si opposés, mais si
ceux de Crétineau-Joly nous
paraissent entachés d'exagération,
ceux donnés par le Moniteur officiel
nous paraissent absolument
fantaisistes. Ou le gouvernement fut
trompé par ses agents, ou il voulait
tromper la France. Mais quel que
soit le chiffre exact des morts et
des blessés, ce combat n'en fut pas
moins épique et fameux dans les
fastes du parti légitimiste On ne
sait ce qu'on doit admirer le plus,
ou de l'acharnement de la défense ou
du courage déployé dans l'attaque.
« Et aujourd'hui tous ces morts
reposent aux abords de la
Pénissière, dans le silence et la
solitude, sans que nul nom, nulle
inscription, nulle croix ne rappelle
leur souvenir. Jadis pourtant., près
d'une tombe, croissait un laurier :
de pieux visiteurs, des compagnons
d'armes coupèrent plusieurs fois de
ses branches et les plantèrent sur
la tombe. Mais comme le laurier de
Virgile, il n'a pas poussé de jets
nouveaux, et ces morts de 1832 sont
déjà enveloppés de ce vague et de
cet inconnu que les siècles en
s'accumulant déposent tôt ou tard
sur la gloire humaine (4).
(1) Loudun, page 48.
(2) Les Echos du Bocage Vendéen,
IIIe année, Nos V et VI.
(3) Histoire de la Vendée
militaire, T. IV, pages 474 et 489.
(4) Le pays Loudun, page 93.
ESCARMOUCHES DIVERSES
ARRESTATION DE LA DUCHESSE DE BERRY
Du côté de Saint-Aubin-des-Ormeaux
et de la Gaubretière, du Chillou,
Bernier de Marigny et la Tour du Pin
avaient formé des rassemblements,
notamment dans le bois des
Agenaudières de la Gaubretière (6
juin) et arboré le drapeau blanc au
sommet du clocher de la première de
ces paroisses. Le 7 juin, ils
avaient battu les phïlippistes près
du village de la Roulière, entre
Saint-Aubin et Saint-Martin-Lars :
mais à peine rentrés à la
Gaubretière, où ils avaient ramené
plusieurs prisonniers, ils apprirent
officiellement les insuccès de
l'insurrection dans la Vendée
proprement dite. Ailleurs, les
royalistes avaient eu quelques
succès, mais bien insignifiants.
Les paroisses des environs de
Chemillé, réunies au Pin-enMauges,
sous le commandement de Cathelineau,
de la Béraudière et de la Paumelière,
enfonçaient le 4 juin un bataillon
du 29e de ligne. Sur la rive droite
de la Loire, La Roche-Macé et Louis
de Bourmont avaient obtenu quelques
succès partiels, mais le
contre-ordre, pénétrant
successivement dans toutes les
divisions, comprima l'élan des
populations et fit tomber les armes
de la main de ceux qui s'étaient mis
en campagne.

La duchesse de Berry à Blaye en 1832
Bientôt l'arrestation de là duchesse
de Berry « le seul homme de la
famille des Bourbons », découverte à
Nantes dans la maison de Mlles de
Guiny et transférée a Blaye, acheva
de décourager les royalistes. «
L'affaire de 1832, où une princesse
de sang royal trouva quelques
dévouements a la hauteur de son
courage, ne fut donc qu'une aventure
chevaleresque digne encore de la
Bretagne et de la Vendée, et qui,
malgré son misérable dénouement,
fournira de belIes pages aux
historiens et aux poètes de
l'avenir, quand le jour sera venu de
la raconter sans passion et de la
juger sans appel. » (1)
(1) Pitre-Chevalier.
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