Jacques Rousseau,
qui devint un de nos plus habiles
sculpteurs, et porta même le titre
de sculpteur du roi, naquit à
la Crépelière commune de
Chavagnes-en-Paillers, le 17 mai
1681 (1).
Il appartenait à une famille de
simples cultivateurs. Dès son
enfance, il se fit remarquer par
l'adresse avec laquelle, sans autre
outil que son couteau, il exécutait
divers travaux de sculpture, tel que
des Christs et des Saintes Vierges.
Aussi l'évêque de Luçon, Henri de
Barilllon. étant venu à Chavagnes,
en visite épiscopale, le 23 août
1697, le curé lui présenta le jeune
artiste et le prélat, charmé de ses
dispositions, le prit sous sa
protection et l'envoya étudier à
Paris. Il y eut pour maître le
célèbre Nicolas Coustou, sous lequel
il se forma rapidement ; ensuite, il
passa quelque temps à Rome.
A son retour à Paris,
l'Académie le reçut au nombre de ses
membres, et, plus tard, il y obtint
le grade de professeur. Son morceau
de réception était
Ulysse tendant son arc.
Le roi d'Espagne, Philippe V,
l'ayant choisi pour son premier
sculpteur, Bousseau se rendit dans
ce royaume, fit beaucoup de travaux
à Madrid et y mourut le 13 février
1740, à l'âge de 59 ans.
La cathédrale de Rouen, le palais de
Versailles et diverses églises de
Paris renfermaient des œuvres du
sculpteur poitevin.
Nous citerons le mausolée du
cardinal Dubois, aujourd'hui dans
l'église Saint-Roch, et que l'on a,
à tort, attribué à Nicolas Coustou ;
- le grand autel de la cathédrale de
Rouen, représentant l'ancienne
loi accomplie par la nouvelle ;
- Saint Maurice et Saint Louis,
placés dans une chapelle de
l'église N.-D. ; - J.-C. donnant
les clefs à Saint Pierre ; -
La Religion, le tombeau de M.
d'Argenson à la Madeleine du
Tresnel, un bas-relief dans la
chapelle de Noailles, un Zéphir
qui ornait le parc Ténars
(bords de la Loire), embelli par Mme
de Pompadour, et qui, lors d'une
vente qui eut lieu il y a quelque
vingt-cinq ans, atteignit un prix
très élevé.
Au milieu de ses succès, il n'oublia
pas sa paroisse natale ; car il
sollicita et obtint du pape, en
1719, des reliques de sainte
Gaudence et de saint Restitut,
partagées entre la paroisse de
Chavagnes, où elles sont encore, et
celle de Saint-Sulpice-le-Verdon,
dont était curé un de ses frères.
(1) En marge de l'acte de baptême on
lit : le dit Bousseau est
actuellement un des premiers
sculpteurs du royaume.
RÉAUMUR
René-Antoine
Ferchault,
seigneur de Réaumur,
naquit à La Rochelle le 28 février
1683. Malgré l'éloignement de cette
naissance, la famille Ferchault n'en
appartient pas moins tout entière au
Bas-Poitou, d'où René Ferchault,
seigneur de Réaumur, père du savant
auquel nous consacrons ces lignes,
ne s'éloigna que pendant quelques
années pour occuper la place de
conseiller au présidial de La
Rochelle.
Après avoir terminé ses études à
Poitiers et fait son droit à
Bourges, Réaumur, entraîné par un
goût irrésistible vers l'observation
de la nature, se livra avec une
ardeur fébrile à l'étude des
mathématiques et de la physique. En
1703, il se rendit à Paris, où son
parent, le président Hénault, le mit
en relation avec les savants de
l'époque. Dès 1708, alors qu'il
n'avait que 24 ans, l'Académie des
Sciences à qui il avait présenté «
des mémoires de géométrie »,
l'accueillit dans son sein. Il fit
partie pendant près de cinquante ans
de cette illustre compagnie. Il faut
voir dans son Eloge prononcé à
l'Académie des sciences, et dans la
notice que Cuvier a publiée sur lui,
la liste prodigieuse des découvertes
importantes qui lui sont dues, et
dont quelques-unes seulement eussent
suffi à la renommée d'un autre :
rien dans les sciences ne lui
échappe. Nous n'indiquerons ici que
les principales. En 1710, l'Académie
le charge de sa grande description
des arts et métiers. Les études
auxquelles il se livre pour ce
travail donnent lieu à une foule de
découvertes, par lesquelles il rend
ainsi à l'industrie française des
services aussi nombreux que variés.
Dans son traité sur l'art du
cordier, en 1711, il prouve, contre
l'opinion commune, que la torsion
diminue la force des cordes. En 1722
il publie un Traité sur l'art de
convertir le fer en acier et
d'adoucir le fer fondu. Le Régent le
récompensa de cette brillante
découverte en lui accordant une
pension de 12.000 livres.
Réaumur dote ensuite la France de la
fabrication du fer blanc qui y était
inconnue. Son mémoire est de 1725.
Il sut retrouver et perfectionner
les secrets des Egyptiens dans l'art
d'employer la chaleur artificielle
pour l'incubation des œufs, et
décide l'important problème de la
digestion chez les animaux. Ses
Mémoires, pour servir à l'Histoire
des Insectes, composés de 6
volumes in-4°, parus de 1734 à 1742,
se font lire avec l'intérêt du roman
le plus attachant. C'est surtout au
cinquième volume que brille son
génie observateur, dans la
description du gouvernement
merveilleux des abeilles.
Mais son titre le plus durable
devant la postérité « plus durable,
dit un panégyriste, qu'une colonne
et qu'un obélisque », est son
thermomètre.
« Le caractère particulier aux
œuvres de Réaumur, dit M. Léon Audé,
est le bon sens, la naïveté, la
finesse dans l'observation poussée
jusqu'au génie. Ses travaux
l'avaient placé au premier rang dans
la science : entouré de la déférence
du gouvernement, il vit les hommes
les plus distingués de l'Europe, par
leur naissance et leurs talents se
faire honneur de son amitié. Mais il
ne fut pas seulement un savant
illustre, il fut encore un bon et
noble cœur, d'un commerce aimable en
société, toujours prêt à prodiguer à
ses amis son crédit, ses
connaissances, sa fortune. Chaque
année il faisait un voyage en
Poitou, et passait une partie des
vacances à son château de Réaumur.
Il mourut le 18 octobre 1757, d'une
chute faite à la Bermondière, dans
le Maine, à l'âge de 74 ans. - Ses
collections d'animaux passèrent au
cabinet du roi, et sont devenues le
principe du Museum d'histoire
naturelle. Il avait, par son
testament, légué à l'Académie des
sciences ses papiers, qui ne
remplissaient pas moins de 138
portefeuilles pleins d'ouvrages
commencés ou terminés. Telle fut la
vie de Réaumur ; vie heureuse,
exempte de traverses. »
LE VICE-AMIRAL COMTE D'HECTOR
(1722-1808)
Charles-Jean
d'Hector,
né à Fontenay-le-Comte le 22 juillet
1722 (1), perdit très jeune son
père, officier de marine. Après
avoir reçu une instruction très
élémentaire à
Saint-Georges-de-Montaigu, où
s'était retirée sa mère, il fait une
campagne de six mois à la Martinique
; nommé en 1740 officier-garde de la
marine, il s'embarque le 28 avril
sur l'Apollon et fait de
nombreuses campagnes. En 1757, après
la journée désastreuse des
Cardinaux, alors qu'il est
commandant de frégate, il sauve avec
l'aide du chevalier de Ternay, six
vaisseaux français retenus par les
Anglais dans les eaux de la Vilaine.
Nommé à la suite de sa brillante
conduite commandant du Minotaure,
il fait, en 1766, partie de
l'escadre de l'amiral d'Estaings,
puis prend le commandement de l'Actif,
sur lequel l'amiral Duchaffault - un
autre Vendéen d'illustre mémoire -
avait arboré son pavillon. Il passe
ensuite sur l'Orient,
vaisseau de soixante-quatorze canons
et s'y couvre de gloire à la fameuse
bataille d'Ouessant. Promu
successivement chef d'escadre (4 mai
1779), lieutenant-général et
chevalier de Saint-Louis, il est en
1783, chargé par Louis XVI de
l'inspection générale des ports de
France, dans le but de leur
appliquer un règlement uniforme ;
nommé vice-amiral le 10 janvier
1792, il rejoignit bientôt les
princes à Coblentz, où il se mêla
aux intrigues des émigrés, prit part
à la fameuse expédition de Quiberon,
et mourut en Angleterre le 18 août
1808, à l'âge de 86 ans, ayant eu le
tort d'oublier un moment
qu'au-dessus des partis il y avait
la France. Il fut enterré dans le
cimetière de Saint-Gilles, à
Reading, où sa belle-sœur lui fit
élever une tombe.
(1) Il était si faible en venant au
monde, que l'on crut qu'il ne
vivrait pas, lui qui devait fournir
une si longue carrière, et qui fut
ondoyé dans la maison paternelle
dans la crainte de hâter sa fin en
le transportant à l'église pour y
recevoir le baptême.
LE CHEVALIER DES TOUCHES, CHEF
D'ESCADRE
Charles-Dominique
Sochet, seigneur des Touches,
est né à Luçon le
7 octobre 1727. Entré dans la marine
le 29 décembre 1743, il était
capitaine de vaisseau en 1767, après
avoir servi avec distinction sur la
Gloire, le Jason, l'Alcyon, le Tigre
et la Friponne. Marié le 3
juillet 1770 à Mlle Mauras d'Hervy,
il demeura bientôt veuf. L'affection
très grande qu'il portait au jeune
fils issu de cette union, et le
chagrin de s'en séparer, ne purent
l'empêcher de courir à de nouveaux
dangers. L'année 1775 venait
d'agiter le Nouveau-Monde, et
l'enthousiasme prodigieux qu'avait
excité chez nous le soulèvement des
Etats-Unis contre la domination
tyrannique des Anglais, avait trouvé
un écho puissant dans le cœur de
notre vaillant compatriote. Le 27
juillet 1779, il prend, en qualité
de commandant de l'Artésien
de 64 canons, part au sanglant et
glorieux combat d'Ouessant, où se
signalèrent d'autres illustres
représentants du Bas-Poitou :
Duchaffault, d'Hector, de Vaugiraud.
Nommé après le combat d'Ouessant, à
la tête d'une flotte de dix navires,
il remplace dans les derniers mois
de l'année de 1780, le chevalier de
Ternay qui, à la tête d'une escadre,
donnait la chasse à l'amiral anglais
Cornwalis, qui avait envahi la
Caroline et ravageait les côtes de
la Virginie (1). Après quelques
jours de mer, il court sur une
flotille ennemie qui lui est
signalée à l'entrée de la baie
Chesapeak, coule dix bâtiments
ennemis et ramène en triomphe à
Newport, le vaisseau anglais le
Romulus de 44 canons.
Dans l'ivresse du succès, le
chevalier des Touches ne rêve rien
moins que l'entière délivrance de la
Virginie. Mettant à profit
l'enthousiasme général, il veut
attaquer l'ennemi par mer et par
terre, sans lui laisser le temps de
se reconnaître. Il se concerte avec
le comte de Rochambeau et le général
de La Fayette, qui commandaient
chacun un corps de volontaires
français. Il est décidé, dans un
Conseil de guerre, que la flotte
recevra à bord un détachement de
3.000 hommes déterminés, sous les
ordres du baron de Vioménil, qui
seront jetés sur les côtes de la
Virginie. Le point du débarquement
devait être la baie de Chesapeak.
L'escadre, après avoir louvoyé
pendant plusieurs jours par un vent
contraire, tombe sans s'y attendre,
à une heure après midi, dans une
brume épaisse, sur les lignes
ennemies. L'Anglais, qui sans doute
avait éventé le plan, s'était
hardiment embossé à l'entrée même de
la baie de Chesapeak et barrait le
passage. L'amiral Arbhut présentait
en bataille onze vaisseaux armés de
670 bouches à feu. Le but du
chevalier des Touches était manqué ;
il était impossible de songer au
débarquement des volontaires sous le
feu d'une si formidable artillerie.
Que faire ? Prendre le large sous
les yeux de l'Amérique attentive ?
C'était donner à la jactance
anglaise le droit de se vanter
d'avoir mis en fuite notre pavillon,
sans combat, avec des forces presque
égales. Cette seule pensée faisait
bouillonner le sang du gentilhomme
poitevin, jaloux de sauver l'honneur
des armes du roi de France. Il
attaquera lui-même : le signal du
branle-bas est donné et le feu
s'ouvre sur toute la ligne. C'était
le 16 mars 1781. Le combat fut
acharné, terrible, manœuvres contre
manœuvres, feux contre feux. Après
deux heures de lutte, la plupart des
vaisseaux anglais, hors d'état de
résister, se traînent au large,
laissant le passage libre à la
flotte française. La victoire fut
complète, et le débarquement opéré.
C'était, depuis l'ouverture des
hostilités, le premier succès
marquant qui eût couronné notre
pavillon. Il produisit sur l'esprit
des Américains l'effet désiré en
détruisant à leurs yeux le prestige
de la suprématie navale des Anglais.
Les applaudissements frénétiques du
Congrès américain, les ovations de
tout un peuple et l'amitié
particulière du grand Washington
furent pour le marin du Bas-Poitou
une récompense flatteuse et méritée.
Mais la victoire était chèrement
acquise ; plusieurs de ses vaisseaux
étant endommagés, il se vit
momentanément contraint de suspendre
ses opérations et de rentrer à
Newport pour réparer ses avaries.
Washington, enthousiasmé, conçut une
telle confiance dans nos armes que,
sans laisser à la flotte le temps de
respirer, il adressa, le 10 avril
1781, de son quartier général de
New-Windsor, au chevalier des
Touches, une lettre autographe pour
le presser de se concerter de
nouveau avec les généraux
commandants les troupes françaises
et d'enlever au plus vite le fort de
Penobscot, dans le Massachussetts,
fort dont la garnison causait de
grands ravages. Peu de jours après,
les Anglais avaient quitté le pays.
Le chevalier des Touches était en
veine de succès. Avant la fin de la
même année 1781, il eut encore la
gloire de prendre part aux
opérations du siège et à la
reddition de la place de New-York,
en Virginie. Ce fait d'armes
présenta cette particularité, que
les officiers de notre marine
reçurent des éloges des deux côtés à
la fois. Le Congrès américain lit
ériger sur la place publique de
New-York une colonne triomphale et
offrit à l'amiral en chef, comte de
Grasse, comme témoignage de la
reconnaissance publique envers la
flotte française, deux canons pris
sur les Anglais. En même temps,
l'amiral Cornwalis rendant compte à
son gouvernement des nobles procédés
de nos officiers envers leurs
prisonniers, écrivait :
« La délicatesse des officiers
français, la part qu'ils semblaient
prendre à notre triste situation, la
générosité avec laquelle ils nous
offrirent toutes les sommes dont
nous pouvions avoir besoin, sont au
dessus de toute expression et
doivent servir d'exemple en pareil
cas aux Anglais ». Ces dernières
lignes semblaient être inspirées par
une secrète prévision des événements
futurs qui ne se réalisa que trop.
L'année suivante une cruelle
humiliation était réservée à notre
pavillon. Le 12 avril 1782, une
flotte française aux ordres du comte
de Grasse, secondé par MM. de
Verneuil et Bougainville, était,
après un combat héroïque de onze
heures, battue dans la mer des
Grandes Antilles par l'amiral
anglais Rodney. - Parmi les
vaillants capitaines qui, dans cette
lutte inégale, avaient poussé le
devoir jusqu'à l'héroïsme se
trouvait le chevalier des Touches,
qui, peu de jours après son retour
de captivité, recevait de la main du
roi le cordon rouge de grand'croix
de l'ordre royal et militaire de
Saint-Louis, et le grade officiel de
chef d'escadre.
L'isolement du veuvage laisse au
cœur de l'homme un vide, que les
enivrements de la gloire ne peuvent
pas toujours remplir. Le marin
épousait, en l'année 1785, à Luçon,
Aimée-Prudence-Geneviève de Racedet,
dame de Saint-Martin-Lars, proche
parente de sa première femme. Elle
même était veuve de messire Fortuné
Boisson, chevalier seigneur de la
Couraizière, ancien lieutenant des
vaisseaux du roi. De ce mariage le
chevalier des Touches n'eut point
d'enfant, mais la famille Racodet
était riche et se composait de neuf
filles, qui étaient presque toutes
mariées dans ce pays ; par cette
alliance le chevalier des Touches
étendait considérablement sa parenté
en Bas-Poitou (2).
« Déjà avancé en âge, il ne songea
point à jouir immédiatement du calme
que pouvait lui offrir une douce
retraite, et ne se retira point du
service. Plus sensible à ce qui
pouvait donner du lustre à son nom
qu'aux avantages de la fortune, il
demandait, le 26 février 1789, que
le combat de la Chesapeak fut
compris au nombre de ceux dont le
pinceau d'un grand maître devait
immortaliser le souvenir. En 1790 le
nom du brave chef d'escadre figurait
encore sur les états de la Marine.
Peu après il quitta le service, et
au lieu d'émigrer comme le firent
presque tous les officiers de la
marine appartenant au Poitou, il se
retira à Luçon, ne demandant que le
repos et la paix dus à ses longs et
honorables services.
Quoique dès Touches n'eut pris
aucune part à l'insurrection de la
Vendée, la conduite de son fils
devait le rendre suspect aux
patriotes. Après avoir quitté les
gardes françaises où il était
sous-lieutenant, pour suivre les
princes à l'étranger, ce jeune
officier avait fait dans l'armée de
Condé la campagne de 1792. Son corps
ayant été licencié, il était passé
en Angleterre, d'où il avait rejoint
Charette dans la Vendée. Blessé
dangereusement dans une affaire, aux
portes de la Roche-sur-Yon (3), il
avait été obligé de se cacher chez
des paysans, où il avait été
découvert et conduit a Nantes. Il
allait y être fusillé, quand un
généreux citoyen, M. Caumartin,
commissaire général de l'armée, le
fit entrer à l'hôpital et facilita
son évasion. Repris dans le château
où il avait cherché un asile, il fut
encore sauvé par Caumartin, qui le
confia à un honnête homme de Nantes
(4). Il resta trois ans chez lui
avec deux de ses cousins, MM.
Grellier. Dufougeroux et de Bernon,
et n'en sortit qu'au moment ou le
décret d'amnistie lui permit, de se
montrer en toute sécurité.
Arrêtéà Luçon, son père fut conduit
à Fontenay, où son procès allait
s'instruire quand la ville fut prise
par les Vendéens. Il les suivit
alors, cherchant dans leurs rangs un
refuge contre ceux qui le
poursuivaient, plutôt que prenant
une part active à la guerre. Il
servait en même temps de protecteur
à deux de ses nièces, les
demoiselles de Bernon, qui chassées
de leur propriété de la
Guillemandière, étaient venues,
après avoir erré quelque temps sans
asile, demander un périlleux abri
aux royalistes. Bien qu'il n'eut
aucun commandement dans l'armée, il
avait pourtant voix au Conseil, car
on trouve son nom dans celui qui se
tint à Fougères après la désastreuse
expédition d'Outre-Loire.
Il assistait à la bataille de
Savenay, si fatale aux armes des
Vendéens. Assez heureux pour se
dérober à la poursuite des
républicains, il vint avec ses deux
nièces chercher un asile chez un
fermier de la paroisse de
Prinquiau,où Mme de Lescure était
cachée. Il y tomba dangereusement
malade, et après avoir reçu les
secours de la religion de la main
d'un prêtre qui, lui aussi, avait
trouvé l'hospitalité dans le
voisinage, il mourut au commencement
de l'année 1794, âgé de 67 ans. Mme
de La Rochejaquelein raconte
qu'après avoir récompensé un
domestique fidèle qui l'avait
accompagnée, il lui confia cent
louis pour être donnés à son fils
(5). Ce dépôt fut remis entre ses
mains, et elle en donna un reçu,
gravé sur une feuille de plomb que
l'on enterra devant témoins. Plus
tard, cette somme arriva à sa
destination.
Aujourd'hui le nom de des Touches
est éteint, mais il conserve une
place impérissable dans l'histoire
de la marine. » (6)
(1) La notification officielle qu'il
fit de sa nomination au général
américain Washington, lui valut, du
liberateur des Etats-Unis, une
lettre autographe des plus
flatteuses conservée précieusement
par la famille des Touches, ainsi
que plusieurs autres autographes
dont nous parlerons plus loin.
(2) Extrait en partie d'un
remarquable article publié par M.
Alexis des Nouhes dans la Revue de
Bretagne et de Vendée (1864).
(3) Affaire du vieux manoir de la
Bouchère.
(4) Il s'appelait Roulion et
habitait rue Notre-Dame.
(5) Biographies vendéennes, par
Merlaud, T. II, pages 347-348.
(6) Rendu à la liberté, Adrien des
Touches, fils de l'amiral, épousa en
1800, au château de la Rairie près
Bazoges-en-Paillers,
Charlotte-Ambroise-Angélique de
Sapinaud, âgée de 24 ans, l'une des
trois filles du gênéral vendéen.
Elle lui donna deux enfants :
Adrien, né en 1801 et mort
célibataire en 1825 au château de
la, Rairie : avec lui s'éteignit le
nom des Sochet des Touches ;
Clémence des Touches, mariée vers
1823 à Gustave Majou de la
Débuterie, dont de nombreux
descendants existent en Vendée.
L'AMIRAL DUCHAFFAULT
L'amiral
Duchaffault,
dont le nom glorieux
est porté par la caserne
d'infanterie de Fontenay-le-Comte,
naquit accidentellement à. Nantes,
paroisse de Saint-Vincent, le 29
février 1708, alors que son père,
plus tard conseiller au Parlement de
Rennes, habitait la Sénardière, près
Montaigu.
Allié aux familles des d'Escoubleau
du Sourdis, de La Roche-Saint-André
et des Herbiers-l'Etenduère, qui
avaient fourni à la France
d'illustres marins, le jeune
bas-poitevin se sentit de bonne
heure attiré vers la marine, dans
laquelle il entra comme aspirant.
Marié le 7 janvier 1732 à sa cousine
Pélagie de La Roche-Saint-André,
dont le père avait été son premier
guide, Duchaffault était, 1736,
enseigne de vaisseau, et en 1747,
capitaine de pavillon du vaisseau
Le Tonnant, de quatre-vingts
canons, monté par son parent le chef
d'escadre des Herbiers-l'Etenduère,
lors du mémorable et sanglant combat
du 25 octobre de la même année. Là,
Duchaffault fit preuve d'un rare
courage, et en 1756 il commandait la
frégate de trente canons L'Atalante.
Après un violent combat dans les
eaux de la Martinique, le capitaine
anglais du Warvick, vaisseau de
soixante-quatre canons, fut obligé
de se rendre à un simple commandant
de frégate française, qui, à cette
occasion, reçut de Louis XV une
lettre autographe des plus
flatteuses.
Devenu chef d'escadre en 1764 et
après divers exploits, Duchaffault
bombarde les ports de Larrache et de
Salé, détruit les batteries, brûle
les navires mauresques.
Douze ans après, il commande
l'escadre de dix-sept bâtiments,
destinée à une expédition aux îles
du Vent, et au mois de février de
l'année suivante, il devient
lieutenant-général des armées
navales de France, ayant ainsi gravi
tous les degrés de la hiérarchie
militaire, sans avoir rien «
escaladé dans les antichambres »,
mais après en avoir teint tous les
degrés de son sang. C'est ainsi que
le 27 juillet 1778, au combat
d'Ouessant, alors qu'il comptait 70
ans, il fut blessé grièvement d'une
balle à l'épaule et d'un coup de feu
au pied. Mais ce qui le frappa
encore plus durement au cœur, il eut
son fils unique, qu'il se
complaisait à voir marcher sur ses
traces, tué près de lui, ainsi que
son neveu (1).
A la suite d'une interruption de
service motivé par ses blessures,
Duchaffault fut choisi pour
commander provisoirement les flottes
combinées de France et d'Espagne en
remplacement de d'Orvillier,
démissionnaire. Peu de temps après
il se retirait dans ses terres de
Montaigu, consacrant aux bonnes
œuvres et aux travaux agricoles les
dernières années d'une existence
bien remplie.
La Révolution de 1789 surprit
Duchaffault dans ses douces et
paisibles occupations. Après s'être
montré un adversaire acharné du
nouveau régime, avoir dirigé
lui-même la défense de Montaigu
contre les républicains en septembre
1793, il fut bientôt arrêté par
ordre du commandant de place
Chastenet, qui le fit conduire à
Nantes.
Devant Carrier, ses magnifiques
états de services et aussi sa
vieillesse, lui évitèrent la peine
capitale. - Transféré au château de
Luzançay, près de Nantes, il y
mourait le 11 messidor an II (29
juin 1794), après avoir vu périr sur
l'échafaud plusieurs membres de sa
famille qui lui étaient le plus
attachés, notamment une de ses
filles, Mme veuve de L'Ecorce, dont
la maison avait été pendant
longtemps le lieu de réunion des
commandants royalistes. Il fut
inhumé dans le cimetière de
Miséricorde à Nantes, et sur sa
pierre tombale se lit cette
inscription : A la mémoire du
très haut et très puissant seigneur,
Louis-Charles Duchaffault de Berné,
comte Duchaffault,
lieutenant-général des armées
navales, grand'croix de l'ordre
royal et militaire de Saint-Louis
décédé le 29 juin 1794, à l'âge de
87 ans.
(1) Auguste Duchaffault, né à
Montaigu le 19 octobre 1732, marié à
Aimé Jousseaume de la Bretèche. Pour
plus de détails (Voir Les Echs du
Bocage, n° 3 et 4 de l'année 1884.)
RENÉ DE GRIMOUARD
René de Grimouard
naquit à Foutenay le 25 janvier
1743, dans la maison qui sert
aujourd'hui de Justice de paix, et
sur la porte de laquelle on a
conservé son nom. Après quelques
études chez les Frères de l'Oratoire
de Niort il entrait à Rochefort dans
la compagnie des gardes de la
marine. Il monte tour à tour sur l'Inflexible
et le Solitaire ; puis
mettant à profit les loisirs que
crée à la marine la paix humiliante
signée par Louis XV avec
l'Angleterre, il prend avec les Jean
Bougner, Bordé de Villesmet, Charles
Borda, etc., part à ce mouvement
intellectuel qui devait faire de nos
officiers de marine des hommes d'une
distinction et d'un talent rares....
La guerre venait d'éclater avec
l'Angleterre : le 17 septembre, de
Grimouard, qui commande la frégate
La Minerve, livre au navire
anglais le Belkowi un combat
terrible, dont l'issue était
l'incendie de ce beau bâtiment
chargé d'une riche cargaison. Un
mois après il s'empare de la Debora,
puis de trois autres petits bateaux
ennemis. Assailli le 1er janvier
1781 par deux vaisseaux anglais de
74 canons : le Courageux et
le Vaillant, Grimouard, monté
à bord de la Minerve, et
grièvement blessé, n'amène son
pavillon qu'après avoir perdu la
moitié de son équipage.
Rendu à la liberté, il monte le 16
janvier 1782, en qualité de second,
le Magnifique, qui, grâce à
lui, peut échapper au désastre
infligé entre la Dominique et les
Saintes à la division navale du
comte de Grasse par l'amiral Rodney.
Le 17 octobre de la même année,
croisant dans les parages des
Antilles, à bord du Scipion,
il rencontre une division anglaise.
Malgré la disproportion des forces,
de Grimouard offre le combat, et,
après une lutte acharnée et
victorieuse, son vaisseau, qui
doublait la pointe d'Icagne, vint se
briser sur un rocher qu'aucune carte
ne signalait. Quoique blessé pendant
l'action, Grimouard procéda au
sauvetage de son équipage et voulut
sortir le dernier de son vaisseau.
Ce combat héroïque fut à bon droit
considéré en France et aux Antilles
comme un triomphe, et à
Saint-Domingue, où dix ans plus
tard, il devait être couvert de
huées, de Grimouard fut reçu aux
acclamations d'une population en
délire.
Après quelques mois de repos auprès
de sa femme, Catherine de Turpin et
de ses enfants, il va en 1788,
prendre le commandement de la
station française des côtes
d'Afrique. C'est la que la
Révolution le trouva, et c'est à
Saint-Domingue qu'à la suite de
conflits de races, il fut abreuvé
d'injures imméritées. Le
gouvernement sut rendre justice au
vaillant marin qui, le 18 juillet
1792, était nommé contre-amiral. Le
10 août la monarchie s'écroulait, et
avec elle finissait pour ainsi dire
la carrière militaire de Grimouard
qui, au mois de janvier 1794, était
destitué de son emploi par mesure de
sûreté générale., Le 9 février 1794,
le brave marin, qui méritait une
récompense nationale pour sa belle
conduite, était condamné à mort
comme traître à sa patrie et exécuté
le lendemain (1).
(1) Deux tableaux représentant
les combats de la Minerve et du
Scipion sont .aujourd'hui au
ministère de la marine. Des copies
de ces tableaux existent aussi dans
les galeries historiques de
Versailles et à la Loge, chez les
Grimouard de Saint-Laurent. Un de
ses arrière-petits-fils par les
femmes, Régis de Brem, se distingua
en 1881, au siège de Sfax, en
dirigeant les torpilleurs.
DE VAUGIRAUD DE ROSNY
De Vaugiraud de
Rosny,
autre marin fameux, né aux
Sables-d'Olonne en 1740, prenait,
dès 1756, part à l'attaque du
Greenwich. Lieutenant de
vaisseau en 1773, et chevalier de
Saint-Louis, il se trouve à la
bataille d'Ouessant à bord de la
Couronne, commandée par
Duchaffault, et quand ce brave chef
d'escadre, atteint à l'épaule d'un
coup de mitraille qui met ses jours
en danger, tombe à côté de son fils
mortellement blessé, c'est à
Vaugiraud qu'il remet le
commandement de son vaisseau.
Après avoir servi comme major en
second, sous les ordres de
d'Orvilliers, le héros d'Ouessant,
de Vaugiraud, est nommé major
général et capitaine de vaisseau
dans la flotte qui, sous
Duchaffault, devait se couvrir de
gloire en Amérique. Par son
sang-froid, il sauve d'une
destruction certaine l'Intrépide,
à bord duquel avait pris le feu. Il
suit le comte de Grasse, et à la
malheureuse affaire de
Saint-Domingue, il est avec son chef
fait prisonnier par les Anglais, non
sans avoir coinbattu avec la plus
grande bravoure. Ce ne fut qu'après
avoir épuisé toutes ses munitions,
qu'entouré de dix vaisseaux ennemis
et ne comptant plus que quelques
hommes debout, que la Ville de
Paris fut obligée d'abaisser son
pavillon. Après la paix, de
Vaugiraud vint pendant quelque temps
se reposer dans son magnifique
château des Granges-Cathus ; puis il
fut chargé d'établir sur les côtes
de Terre-Neuve une croisière, au
cours de laquelle il fit preuve
d'une grande énergie vis-à-vis d'un
commandant anglais.
Après la prise de la Bastille, il
refuse à Saint-Pierre-de-Miquelon
d'arborer la cocarde tricolore qu'on
voulait lui imposer par la force,
mais qu'il acceptera plus tard de
bonne grâce au Fort-Royal, pour
éviter des ennuis à M. de Vioménil.
Arrivé à l'île d'Aix le 6 mars 1790,
de Vaugiraud recula devant les
exigences populaires, et vint se
retirer en Vendée au soulèvement de
laquelle il ne fut point étranger.
Il était à la Proutière quand
l'incendie dévora le château de son
voisin le baron de Lézardière. Il
fit plus tard l'expédition de
Quiberon, accompagna le comte
d'Artois à l'île d'Yeu et ne rentra
en France qu'avec Louis XVIII qui,
le 13 juin 1814, le nommait
vice-amiral, grand-croix de l'ordre
de Saint-Louis et gouverneur de la
Martinique, où il était remplacé en
1818. Blessé dans son amour-propre
et dans sa dignité, il succombait à
Paris le 13 mai 1819.
LE CHEVALIER DE LA COUDRAYE
Le chevalier de la
Coudraye,
né le 25 mai 1743, à Fontenay, dont
son père était gouverneur, se
distingua d'abord dans la marine.
Dès 1764, il était reçu membre de
l'Académie royale de marine, à
laquelle, en 1770, il adressait les
quatre premiers fascicules d'un
dictionnaire ayant trait aux choses
de la mer, et en 1778 il publiait
La Théorie des Vents.
En 1780, il abandonne le service
pour se consacrer exclusivement aux
sciences, et fait imprimer
successivement un mémoire sur le
Régime Végétal des gens de mer
(1781) et la Théorie des Ondes
qui lui ouvre les portes de
plusieurs académies étrangères.
Au mois d'avril 1787, devenu le
collègue de Robespierre, à
l'Académie des belles-lettres
d'Arras, il publie un mémoire
intitulé Observations sur
l'histoire naturelle des
Sables-d'Olonne. Successivement
délégué de l'élection de Fontenay
(1787), puis membre de la
Constituante où il se fait remarquer
par des aptitudes et une grande
compétence dans les questions
intéressant la marine, il avait, le
11 décembre 1790, la grande
satisfaction de voir un décret
réglementer, suivant ses vœux,
l'organisation des gens de mer.
Mécontent de la tournure des
événements politiques, il rentre en
Vendée aussitôt la fuite du roi et
se mêle à tous les complots qui s'y
ourdissent. Au plus fort de la
Terreur il se sauve en Suède ; en
1812, il devient colonel de la
marine russe, membre honoraire de
l'amirauté à ce département et sujet
de l'empereur de Russie : il avait
alors 67 ans. - Cette même année, il
abjure entre les mains du général
des jésuites, à Saint-Pétersbourg,
les erreurs religieuses et
philosophiques dont il se
reconnaissait coupable. Il mourut en
1817.
LA RÉVEILLIÈRE-LEPEAUX
La
Réveillière-Lepaux
naquit à Montaigu, le 24 août 1753,
la même année que l'auteur de la
Théorie des Lois de la Monarchie
française ; singulier
rapprochement de deux vies si
différentes dans leurs aspirations
et dans les voies qu'elles ont
parcourues. Ses premières années,
confiées à un ecclésiastique brutal,
l'abbé Payraudeau, curé de
Saint-Nicolas-de-Montaigu, ne furent
pas heureuses ; les mauvais
traitements finirent par altérer sa
santé, et son épine dorsale se
dévia. - Envoyé en 1775 à Paris, par
sa famille, qui en voulait faire un
avocat, il ne tarda pas à quitter le
barreau pour les sciences, et peu de
temps après son mariage avec Mlle
Boylande Chandoiseau, il professa la
botanique à Angers, où la Révolution
le trouva pour en faire un député à
la Constituante. Là, il se fit
remarquer par l'énergie et le
radicalisme de ses convictions, et
toutes les mesures populaires et
républicaines trouvèrent en lui un
chaud apologiste. A la Convention,
il se montra patriote et ami des
Girondins. Il fit formuler, en
réponse au manifeste de Brunswich,
le décret de Propagande armée,
déploya le 11 mars 1793, en face
de Danton, une vigueur qui retarda
de quelques jours la chute des
Girondins, et n'échappa que par
miracle à la proscription.
Au cri de : « Au tribunal
révolutionnaire ! » poussé par la
Montagne en furie, La
Réveillière-Lepeaux avait répondu :
« Ne vous gênez pas un crime de plus
ou de moins ne doit pas vous coûter
beaucoup ! » On allait voter, quand
la voix d'un homme qui, sans doute,
voulait le sauver, s'éleva du milieu
de la Montagne et fit entendre ces
paroles grossières : « Eh ! ne
voyez-vous pas que le b... va crever
! Il ne vaut pas le coup. - Eh bien
! crève donc tout seul ! » crièrent
d'autres voix. Reparaissant après le
9 thermidor, il combattit les
Terroristes, fut envoyé au Conseil
des Anciens, et prit part à la
rédaction de la Constitution de l'an
III. Elu membre du Directoire dès sa
création (1795), il fit partie de la
majorité qui fit le coup d'Etat du
18 fructidor et donna sa démission
au 30 prairial. La
Réveillière-Lepeaux avait imaginé
une espèce de religion nouvelle,
dont le déisme faisait le fonds,
qu'il appelait Théophilanthropie
: ce projet fut mis un instant à
exécution en 1797, mais il eut peu
de succès ; le nouveau culte tomba
bientôt sous les coups du ridicule.

BARRÉ. - D'après une photographie de
M. Auguste Douillard, de Montaigu.
Dès le 30 prairial, La
Réveillière-Lepeaux s'effaça
complètement de la scène politique
et l'empire ne trouva pas en lui un
flatteur : il refusa de prêter
serment à l'Empereur en sa qualité
de membre de l'Institut et n'accepta
ni pension, ni fonction du
gouvernement impérial à aucune
époque. - Après les Cent jours, il
revint en Vendée, pour y saluer la
terre natale encore une fois avant
de mourir et y présenter son fils
Ossian à tous ses parents et amis.
Le 27 mars 1824, La
Réveillière-Lepeaux, atteint d'une
affection chronique de lapoitrine,
s'éteignait doucement en disant à
ceux qui l'entouraient : « Au revoir
».
Avant de mourir il avait, de 1819 à
1823, dicté les mémoires de sa vie
privée et publique à son fils
Ossian, qui les a fait imprimer à
Paris, par Claye, et éditer par
Hetzel, 3 volumes in-8e (1873). Ce
devoir filial rempli, Ossian
s'éteignait le 28 septembre 1876, à
Thouarcé (Maine-et-Loire) à l'âge de
80 ans. - Le 14 juin 1886, la ville
de Montaigu inaugurait sur une de
ses places publiques le buste d'un
de ses enfants les plus marquants
(1).
(1) La liste des ouvrages de La
Réveillière a été publiêe par
Dugast-Matifeux, dans une notice
parue en 1886, chez Hetzel,
plaquette in-8° de 32 pages. - Voir
la Biograpéie de La
Réveillière-Lepeaux dans Merland.
Tonie III, pages 311 à 387.
BONAMY
Né à Maillezais en 1764, maître des
eaux et forêts à Fontenay, en 1790,
Bonamy s'engage comme simple
volontaire dans l'armée de La
Fayette. Fait sous-lieutenant de
cavalerie en 1792, il assiste aux
batailles de Valmy et de Nerwinde et
à la prise de Namur.
Après avoir servi avec distinction
sous les ordres de Kléber, puis
ensuite sous Marceau, qui tomba près
de lui sur le champ de bataille, il
fut, en 1798, envoyé près de
Championnet, commandant de l'armée
de Rome, dont il fut le chef
d'état-major. Disgracié après la
campagne d'Italie, il se retire là
la Flocellière, dont il devint maire
et qu'il ne cessa d'habiter jusqu'en
1811. Rentré en grâce auprès de
l'Empereur, auquel il avait présenté
une députation de Vendéens, Bonamy
fut autorisé à rejoindre ses anciens
compagnons d'armes. Bien que général
de brigade, Bonamy n'avait même pas
la décoration de la Légion
d'honneur quand il fit la
campagne de 1812 : « Qu'il la gagne
de nouveau, » avait répondu
l'Empereur à ceux qui faisaient
valoir ses droits à cette
distinction. - « Il faut donc qu'il
se fasse tuer, avaient répondu
ceux-ci ? »Attaché au corps d'armée
de Davoust, Bonamy se distingua
devant Smolensk, mais ce fut surtout
à la Moskowa qu'il s'illustra par la
prise d'assaut de la grande redoute,
l'un des plus beaux faits d'armes de
cette campagne, raconté avec force
éloges par Thiers. Après une
captivité de 22 mois en Russie,
Bonamy ne rentra en France que le 17
août 1814. Louis XVIII le nomma
lieutenant-général, mais sans
l'employer. Après le retour de l'île
d'Elbe, Bonamy assista au Champ de
Mai, et le 4 juillet suivant fut
chargé par le ministre de la guerre
Davoust, de conduire derrière la
Loire, les dépôts et les magasins de
l'armée. Il y réussit et la France
lui en dut la conservation. Son
quartier général était à Poitiers,
lorsque le duc et la duchesse
d'Angoulême y passèrent. La ville et
les campagnes environnantes étaient
encombrées de soldats blessés,
mécontents, privés de tout, irrités
de leurs revers et plus que jamais
attachés à la personne de
l'Empereur. Leur attitude fit
craindre pour la suite du prince et
de la princesse ; cependant aucun
conflit n'eut lieu, grâce à la
prudence et à la fermeté du général
Bonamy.
Rentré après ces événements à la
Flocellière, il y mourut le 7 août
1830, âgé de 66 ans, en laissant un
fils et une fille mariée au colonel
Alquier, fils de l'ambassadeur.
ALQUIER
Charles Alquier,
né à Talmont le 13 octobre 1752,
d'une famille originaire de la
Flocellière, était maire de La
Rochelle, lorsqu'il fut, en 1789,
nommé député aux Etats-Généraux,
puis président du tribunal criminel
du département de Seine-et-Oise, qui
l'envoya à la Convention, où il vota
la mort de Louis XVI, à la condition
que l'exécution serait ajournée à la
paix générale. Nommé secrétaire du
Conseil des Anciens, le 21 mars
1795, il fut, en 1801, appelé à
l'Ambassade de Florence et de
Naples. En 1806, il remplaça le
cardinal Fesch à Rome, où il
rencontra toutes sortes de
difficultés.
Napoléon, qui ne pouvait souffrir de
résistance, rappela son ambassadeur
: « Vous êtes un dévot, M. Alquier,
lui dit-il à son arrivée à Paris ;
vous avez voulu gagner des
indulgences à Rome ». « Sire,
répondit le spirituel et souple
diplomate, je n'ai jamais eu besoin
que de la vôtre ».
En effet, Napoléon ne lui garda pas
rigueur et l'envoya, deux ans après,
en Suède et en Danemark. Le succès
fut complet : le Danemark resta
fidèle à la politique de l'Empereur
jusqu'à sa chute, et Alquier,
rappelé en 1814 par Louis XVIII,
partit comblé de présents par
Frédéric VI. La loi du 12 janvier
1816 contre les régicides, l'ayant
obligé de quitter la France, il se
fixa à Vilvorde, en Belgique,
jusqu'en 1818, époque où, sur les
pressantes sollicitations de Boissy
d'Anglas, son ami et collègue à la
Convention, devenu pair de France,
les portes de la patrie lui furent
rouvertes.
A partir de ce moment, Alquier vécut
dans la retraite à Versailles, où il
mourut le 4 février 1826. Homme
distingué et d'esprit cultivé,
Alquier fut un des ambassadeurs les
plus remarquables de son temps, et
suivant ses contemporains, plus d'un
mot attribué à Talleyrand serait de
lui.
Mademoiselle MARIE-CHARLOTTE-PAULINE
DE LÉZARDIÈRE
Mademoiselle
Marie-Charlotte de Lézardière
naquit au château
de La Vérie, commune de Challans, le
25 mars 1754, d'une famille noble et
distinguée. Elle avait eu pour
trisaïeul maternel le fameux Gabriel
de Châteaubriant, seigneur des
Roches-Baritaud, le vainqueur de
Soubise. Son père,
Jacques-Gilbert-Robert de
Lézardière, ami de Malesherbes, de
Turgot et de Vergennes, était un
homme fort instruit, sous la
direction duquel la jeune Charlotte
fit, dans l'étude des lettres, de la
géographie et de l'histoire de
France surtout, de rapides progrès.
- Indifférente aux jeux de son âge
et aux frivolités de son sexe, elle
se livrait avec une ardeur peu
commune à la lecture des anciens
monuments historiques, que
renfermait la précieuse bibliothèque
du château paternel, et s'occupait
avec délices des formules de
Marculphe, des Capitulaires et des
lois des peuples barbares.
En 1776, la, famille de Lézardière
abandonnait le château de la Vérie
pour s'établir dans celui de la
Proustière, dont le nom devait, 45
ans plus tard, acquérir une certaine
notoriété lors des premiers troubles
de la Vendée.
C'était le temps où les institutions
monarchiques, chancelantes de
vétusté, étaient devenues un objet
d'examen. Boulainvilliers,
Montesquieu, Dubos, de Mably, etc.,
s'étaient tour à tour engagés avec
plus ou moins de succès dans le
labyrinthe de nos origines. Il était
réservé à notre jeune compatriote de
saisir mieux que tout autre, le fil
destiné à la guider à travers les
détours les plus obscurs du dédale.
Soutenue par l'ambition justifiée de
combler une lacune laissée à regret
dans le livre de l'Esprit des
Lois elle voulut composer la
théorie de nos lois politiques que
Montesquieu n'avait pu joindre à sa
théorie des lois civiles.
« Ses parents, effrayés de la
difficulté et de l'immensité d'une
semblable tâche, combattirent
d'abord son projet ; elle triompha
bientôt de leur opposition, et
reléguée dans le repos de la
province, ignorée du monde, elle
put, sans entraves, se livrer au
génie qui l'inspirait, consacrer ses
plus belles années à satisfaire son
irrésistible penchant pour les
travaux historiques, et jeter les
bases de son ouvrage » (1).
Les essais de cet ouvrage dressé
avec art, divisé en trois parties la
première appelée Discours qui
est l'ouvrage lui-même ; - la
deuxième nommée Sommaire des
preuves où l'énumération des
pièces justificatives, et l'indication
des Preuves que contient la
troisième, furent confiés par son
père à M. de Malesherbes, son plus
intime ami. Celui-ci les communiqua
à M. de Brecquigny, au duc de
Nivernais, à Dom Périer, nommé plus
tard censeur de l'ouvrage, et à
d'autres hommes éclairés qui, tous,
attachèrent à ce travail une grande
importance, encouragèrent l'auteur à
le poursuivre, et mirent à sa
disposition les documents qu'ils
possédaient. Grâce à leur entremise,
M. d'Ormesson envoya à la jeune
savante plusieurs livres de la
bibliothèque du roi ; les
bénédictins de Poitiers ouvrirent
également leurs trésors, et
adressèrent à la Proustière les
ouvrages les plus spéciaux.
« Enhardie par ces suffrages, et
surtout par l'approbation et les
conseils de Brecquigny, qui ne
pouvait se défendre d'une sorte
d'enthousiasme en voyant dans une
femme une maturité de jugement et
une portée d'esprit qui se
rencontrent rarement chez les
hommes, Mlle de Lézardière
poursuivit laborieusement son œuvre
et termina les deux premières
époques, qui s'arrêtent à la fin du
règne de Charles-le-Chauve, en 877.
En les livrant à l'impression, elle
annonça dans sa préface, comme étant
presque achevée, la troisième
partie, qui devait exposer les
modifications et la tradition du
droit public de la monarchie, depuis
la division de l'ancien empire franc
jusqu'au règne de Philippe-le-Bel.
La destinée de ce livre eut quelque
chose de triste ; fruits de longues
années de travail, il fut, durant ce
temps, l'objet d'une attente
flatteuse dans la science et dans la
société. M. de Malesherbes en
suivait les progrès avec une
sollicitude mêlée d'admiration ;
tout semblait promettre à l'auteur
un grand succès et de la gloire ;
mais la publication fut trop tardive
et les événements n'attendirent pas.
La Théorie des Lois politiques de la
Monarchie française s'imprimait
en 1791, et elle était sur le point
de paraître lorsque la monarchie fut
détruite. Séquestré par prudence
durant les troubles de la
Révolution, l'ouvrage promis depuis
tant d'années ne vit le jour qu'en
1801, au milieu d'un monde nouveau,
bien loin de l'époque et des hommes
pour lesquels il avait été composé
(2) ».
Le malheur de ce grand travail -
nous venons de le dire - fut
d'arriver à son terme au moment où
l'ancienne monarchie s'affaissait ;
et si la Révolution eût été moins
passionnée, peut-être eût-elle
accueilli avec reconnaissance un
ouvrage aussi propre à lui retracer
les constitutions primitives de la
patrie.
Examinons maintenant les jugements
qui ont été portés sur la manière
dont Mlle de Lézardière a rempli le
cadre qu'elle s'était tracé pour
renverser les traditions
universellement admises jusqu'à
elle.
Dom Périer, membre de l'Académie des
belles-lettres, chargé de l'examen
du manuscrit, s'exprime ainsi dans
son attestation du 31 mars 1791 : «
Cet ouvrage, l'un des plus savants
et le plus méthodique que l'on ait
composés sur le sujet annoncé par le
titre, est le fruit d'environ 20
années de recherches immenses et
d'un travail assidu... Le style en
est simple, clair et tel qu'il
convient à un sujet qui n'en exige
point d'autre... C'est un vrai
phénomène au milieu de tant de
productions frivoles et de livres
superficiels dont notre littérature
est surchargée ; phénomène
littéraire qui paraîtra encore plus
surprenant, lorsque l'auteur aura
jugé à propos de se faire connaître.
« On ne peut que louer l'auteur,
dit-il enfin, de n'avoir point
adopté les préjugés de ses
devanciers ; mais elle-même n'a pu
se défendre de l'esprit de système,
et le sien, pour différer des
autres, n'en est pas moins exclusif.
»
M. de Savigny attaque sur quelques
points l'opinion de Mlle de
Lézardière, qu'il prétend être
tombée dans diverses méprises, sur
la nature des institutions romaines.
« Cette critique fut-elle fondée (ce
qu'il ne faut pas admettre
superficiellement), quel savoir
encore dans une femme pour traiter
de pareilles questions avec tant
d'habileté, avec une aussi
incontestable supériorité (3) ! »
M. Augustin Thierry (4), après avoir
condamné le système, qu'il ne trouve
pas toujours fondé sur l'ensemble et
l'intégrité des monuments
historiques, reconnaît que
l'ouvrage, plus savamment et plus
fortement motivé que ceux des
auteurs qui l'avaient précédé, est
digne de gagner le suffrage des
esprits les plus sérieux, et il
ajoute :
« Si Mlle de Lézardière, livrée à
l'étude exclusive des documents
législatifs séparés de l'histoire
elle-même, oublie les règles de la
méthode historique pour se livrer à
un travail tout spéculatif, où la
chronologie ne joue aucun rôle, ce
travail est complet, ingénieux,
sauvent plein de sagacité. Elle est
douée d'une remarquable puissance
d'analyse ; elle cherche et pose
toutes les questions importantes et
ne les abandonne qu'après avoir
épuisé les textes qui s'y
rapportent. »
Enfin, il est avéré que M. Guizot a
beaucoup emprunté à Mlle de
Lézardière, dans ses Essais sur
l'Histoire de France, M. Jourdan
fournit, à l'époque où ils parurent,
des preuves d'imitations nombreuses
; et, après avoir signalé une erreur
dans laquelle est tombé l'habile
professeur en parlant des décurions,
le critique ajoute « Pourquoi M.
Guizot a-t-il abandonné pour cette
fois son guide accoutumé ? »
« Ce passage n'est-il pas la preuve
de l'estime que portent à l'auteur
de la Théorie des Lois politiques
ces deux derniers écrivains ? »
La Théorie des lois politiques de
la monarchie française était
divisée en trois Epoques ; - avant
Clovis, - de Clovis à
Charles-le-Chauve, - de celui-ci à
Saint Louis. - Les deux premières
seulement furent imprimées en 1791
et publiées sans nom d'auteur. Les
préoccupations d'alors en
empêchèrent le débit, et le magasin
où l'édition entière était en dépôt,
fut pillé. La famille de Lézardière,
de son côté, souffrit cruellement de
la Révolution. Le château de la
Proustière fut incendié deux ans
avant l'insurrection vendéenne, et
au moment même où l'ouvrage voyait
le jour, les livres du château, les
documents prêtés par la bibliothèque
nationale et par le couvent
bénédictin de Poitiers furent
dévorés par les flammes. La famille
se dispersa après cet événement.
Deux frères de notre auteur furent
condamnés par les tribunaux
révolutionnaires, et un troisième,
prêtre, fut compris dans le massacre
des Carmes. Le baron de Lézardière,
qui n'avait pas émigré, se trouva
néanmoins inscrit sur la liste
fatale, et fut obligé de se réfugier
à l'étranger. Melle de Lézardière
erra sur le sol français, emportant
avec elle un exemplaire de son
ouvrage imprimé, et le manuscrit
inédit contenant la troisième
Époque.
Elle revint en 1801, avec deux de
ses frères qui avaient survécu,
s'établir à la Proustière, sous un
toit modeste, relevé avec les débris
de l'incendie, et qui depuis la
reconstruction du château sert de
remise. Elle y a passé le reste de
sa vie jusqu'en 1835, dans cette
intimité douce et distinguée qui, de
temps immémorial, a été le partage
de la famille de Lézardière. Comme
l'a fait observer un spirituel
biographe de Mlle de Lézardière. M.
Oscar Pinard (5), on ne pourrait
citer aucun auteur de quelque renom
qui se soit autant survécu que celui
de la Théorie des lois
politiques. Lorsqu'elle vit le
résultat de tant de travaux foulés
aux pieds par la Révolution, elle
était âgée de 37 ans, c'est-à dire
dans la force de l'âge et du talent.
Dix ans plus tard, elle n'avait
certainement rien perdu de ses
facultés ; mais, au lieu de rentrer
dans la lutte, elle accepta l'oubli
auquel les événements semblaient la
condamner et quand l'auteur du
Dictionnaire des Anonymes la
déclara décédée en 1814. elle ne
réclama pas plus contre son
assertion que contre l'injustice
révolutionnaire. Elle remit à Dieu
et au temps le soin de la juger. Le
jour de la justice se leva en effet,
mais par des lueurs tardives et
lointaines. L'un des rares
exemplaires échappés au pillage
avait passé la frontière, et était
allé, en Allemagne, aux mains de
l'auteur de l'Histoire du droit
romain pendant le moyen-âge, M.
de Savigny. Le savant professeur
prussien, après avoir passé en revue
les travaux historiques de Dubos, de
du Buat, de Mably et de Moreau,
déclara le plan et l'exécution du
livre de Mlle de Lézardière, comme
étant sans contredit plus profond et
plus conforme aux sources que ceux
des ouvrages précédents.
C'était, depuis les voix éteintes de
MM. de Malesherbes, de Brecquigny et
de Dom Périer, le premier hommage
rendu à un noble travail, et cet
hommage avait dû venir de l'étranger
! L'Atlas historique de Lesage
répéta le nom de Melle de
Lézardière. MM. Guizot et Augustin
Thierry apprirent par l'ouvrage de
Savigny, l'existence de celui de
notre compatriote. Ils le
recherchèrent, le lurent et
l'apprécièrent (6). L'école de ces
deux célèbres historiens
publicistes, loin de renier le passé
de la patrie, comme l'avait fait
celle de la Révolution, s'appliquait
au contraire à rechercher dans la
France d'autrefois les titres de
celle d'aujourd'hui, et à relier
l'une à l'autre comme la conséquence
à ses prémices. Ils résolurent
d'arracher la Théorie des lois
politiques à l'oubli dont
l'avait recouvert le malheur des
circonstances.
Mlle de Lézardière venait de
descendre dans la tombe. Des
ouvertures furent faites à sa
famille par les hommes illustres
dont nous venons de parler.
Un de ses frères, le Vicomte
Charles, député de la Vendée en
1823, avec qui elle avait passé sa
vie depuis 1801, se chargea de
répondre à l'appel si honorablement
adressé par M. Guizot, alors
ministre de l'instruction publique.
Il dirigea. la nouvelle édition et
la compléta par la troisième Epoque
restée inédite. L'ouvrage, formant
quatre volumes in-8°, fut imprimé
sans luxe, mais avec le mérite
préférable que portent avec elles
les presses si renommées de la
maison Crapelet. Il parut en 1844,
alors que d'autres travaux, fruits
de savantes recherches,
s'efforçaient également de porter la
lumière sur nos origines. Ces études
peuvent différer par les nuances,
mais toutes s'accordent sur le fond.
La thèse, devenue irrécusable par un
tel concours, est toujours celle-ci
: Les Français furent libres a leur
origine, mais dans la marche des
événements et de la civilisation,
ils ont vu, par un singulier retour,
leurs libertés politiques se
restreindre au lieu de se
développer. Sous Clovis, sous
Charlemagne, ils furent libres et
barbares ; sous le règne de Louis
XIV ils avaient acquis tout l'éclat
de la civilisation et perdu toute
trace de liberté primitive (7). »
En résumé, comme le dit si justement
M. Mourain de Sourdeval, dans son
travail sur Melle de Lézardière et
auquel nous avons fait de nombreux
emprunts : « Si vous voulez
connaître à fond les ressorts qui
successivement ont fait mouvoir
notre nation, lisez l'ouvrage de
Melle de Lézardière ; il n'y a pas
de meilleur guide jusqu'au règne de
saint Louis, et après ce grand
prince, qui apparaît comme le point
de partage entre l'âge féodal et
l'âge administratif, lisez
l'histoire du Tiers-Etat par M.
Augustin Thierry, et une histoire de
l'Administration par M. Cheruel.
Vous aurez de la sorte une histoire
complète de la constitution
française. L'ouvrage de Melle de
Lézardière n'est pas un simple
tableau dont l'effet dépend du jour
sous lequel il est placé, de
l'emploi des couleurs, ou dont le
mérite provienne de l'imagination de
l'auteur ; c'est plutôt un édifice
élevé par un architecte habile, sur
une base solide, et construit avec
des matériaux également bien
choisis, taillés, appareillés et
cimentés. Cet édifice peut-être vu
de toute face. Sans doute, il a ses
défauts comme toute œuvre humaine,
mais ces imperfections ne
compromettent ni sa solidité, ni le
mérite de son plan ou de son
exécution. Il est peu de livres
autant que celui-là en état de
lutter contre les injures du temps,
et de rester intact devant les
progrès de l'avenir. Il a été écrit
au fond de notre province, il a pris
rang parmi les titres les plus
complets et les plus authentiques de
la patrie ; il en est un immortel
pour le sol vendéen (8) ».
(1) Histoire littéraire du
Poitou. (Dreux- Duradier).
(2) Augustin Téierry. - Introduction
des Récits Mérovingiens.
(3) M. de La Fontenelle de
Vaudoré, à qui cette dernière phrase
est empruntée, a payé à Mlle de
Lézardière son tribut d'éloges dans
un article publié en 1835, dans la
Revue de l'Ouest, pour annoncer Ia
mort de cette célèbre bas-poitevine.
Histoire Littéraire du Poitou. -
Dreux-Duradier, p.,653.
(4) Loc. jam. cit,.
(5) La notice trés intéressante
de M. Oscar Pinard sur Mlle de
Lézardière fait partie d'un volume
de cet auteur intitulê : L'histoire
à l'audience ; elle a êté reproduits
par le Publicateur, journal de la
Vendée, les 2 et 9 septembre 1849.
Une autre notice sur notre auteur,
par le comte de Lastic Saint-Jal,
est insérée au Bulletin de la
société de Statistique des
Deux-Sèvres 1842, p. 126.
(6) Voir l'avant-propos des
Récits des temps mérovingiens, par
M. Augustin Thierry.
(7) Annuaire, Société d'Émulation
de la Vendée, pp. 181-84 et 193.
(8) Annuaire, Société d'Émulation
de la Vendée, pp. 181-84 et 193.
LE CARDINAL DE LA FARE
Le cardinal de La
Fare
(Anne-Louis-Henri), naquit au
château de Bessay le 9 septembre
1752. Il était le fils de Dominique
de la Fare, ancien officier de
cavalerie au régiment de
Chabrillant, et de Gabrielle Gazeau
de Champagné, héritière par sa mère
de la branche aînée des Bessay. -
Après de brillantes études au
collège Louis-le-Grand, il fut
ordonné prêtre, et à 26 ans nommé
vicaire général de Dijon, grâce un
peu à la recommandation de son
parent le cardinal de Bernis.
Successivement nommé élu général du
clergé de la province de Bourgogne
(1782-1787), membre de l'Assemblée
des notables qui se réunit à
Versailles le 22 février 1787, il
était le 7 octobre appelé à l'évêché
de Nancy, et c'est en cette dernière
qualité qu'il fit partie des
Etats-Généraux. Ce fut lui qui, au
milieu des applaudissements unanimes
des trois ordres, prononça le
discours d'ouverture. Après avoir,
au 4 août 1789, fait preuve d'un
grand désintéressement, il fut le 25
septembre de la même année élu un
des secrétaires de l'Assemblée. La
Constitution civile du clergé trouva
en lui un adversaire résolu, qui
devant les clameurs de la foule et
les dangers qui naissaient sous ses
pas, dut se réfugier près
l'Archevêque de Trèves et de là à
Vienne (Autriche).
Attaché en 1795 à la fille de Louis
XVI, en qualité d'aumônier, ce fut
lui qui négocia son mariage avec le
duc d'Angoulême. - Au retour des
Bourbons, il fut en 1814 chargé de
faire exhumer de l'ancien cimetière
de la Madeleine et transporter à
Saint-Denis les restes de Louis XVI
et de Marie-Antoinette. - En 1820 il
était appelé à l'archevêché de Sens,
et en 1822, élevé à la dignité de
pair de France; et c'est en cette
qualité qu'il prononça, le 25
février 1823, L'éloge funèbre du
comte de Bernis, archevêque de
Rouen, dont il était l'obligé, le
parent, le condisciple et l'ami. Le
20 juin de cette même année, il
recevait la barrette cardinalice ;
le 26 août 1824, il était nommé
ministre d'Etat et membre du Conseil
privé.
Le 29 mars 1825, dans la cathédrale
de Reims, il prononçait à l'occasion
du sacre de Charles X, un grand
discours religieux, dont il prit
pour texte, ces mots appropriés à la
circonstance :
« Spiritus Domini super, me quod,
Dominus unxerit me ». - Il
mourut le 11 décembre 1829, au
retour d'un voyage à Rome, et fut
inhumé à Sens, dans le caveau
destiné à recevoir la dépouille
mortelle des archevêques.
CAVOLEAU
Cavoleau,
né à Légé, département de la
Loire-Inférieure, le 3 avril 1754,
était au moment de la Révolution,
curé de la paroisse de Péault, près
Luçon. Tout en se vouant à
l'éducation morale et religieuse de
la population qui lui était confiée,
il comprit qu'il devait encore
travailler de tous ses efforts à
l'associer au mouvement de la
civilisation et aux améliorations
matérielles, et c'est dans cette
pensée que, l'un des premiers, il
conçut et réalisa au milieu de la
Vendée, le projet de ces
fermes-modèles, qui, de nos jours,
rendent tant de services à
l'agriculture.
Mais pendant que le prêtre-laboureur
se livrait dans le calme et la
retraite à ses utiles et paisibles
occupations, les vieilles
institutions de la monarchie
disparaissaient chaque jour, et déjà
se formait à l'horizon l'orage qui
devait modifier de fond en comble la
vieille organisation politique et
administrative de la France. - A
peine le département de la Vendée
avait-il été créé, que le 9 novembre
1790, le Directoire ordonnait à
Péault, l'établissement d'une
bergerie-modèle, dont était nommé
directeur Cavoleau, qui, ayant prêté
serment à la Constitution civile du
clergé, allait devenir bientôt
vicaire-général de l'évêque
constitutionnel de la Vendée, puis à
la fin de 1792, membre et président
du Conseil général du même
département. Et c'est dans ces
fonctions qu'il se révéla un
administrateur remarquable, en
sauvant de la famine les populations
de notre malheureux pays, et un
courageux citoyen, en résistant seul
à une bande de forcenés, qui, dans
la salle de l'Union-Chrétienne de
Fontenay-le-Comte, voulaient
massacrer quatre-vingts
ecclésiastiques destinés à l'exil.
Lorsque la tempête révolutionnaire
s'apaisa, Cavoleau devint
successivement membre du Jury de
l'Instruction publique, professeur
d'histoire naturelle à l'école
centrale de Luçon, puis secrétaire
général du département, poste qu'il
occupa jusqu'au retour des Bourbons.
De 1800 à 1814, il s'occupa de
l'organisation syndicale des marais,
en étudia l'histoire depuis les
temps les plus reculés, se pénétra
du mécanisme de leur administration,
en signala les abus et les fit
réformer. On lui doit spécialement
les décrets impériaux qui ont
organisé la société des travaux de
desséchement des marais du
Petit-Poitou et qui ont arrêté les
usurpations dans le vaste communal
de Benet. Il fut aussi associé à
toutes les études du célèbre
inspecteur-général de Prony, ayant
pour but de créer une navigation
intérieure pour le département.
Fondateur d'un Journal politique
et littéraire, qui eut de
nombreux lecteurs, il fit paraître
des Annuaires remarquables,
publia une fort intéressante
Statistique du département de la
Vendée, qui révèle une
connaissance approfondie du pays, et
qui obtint une mention honorable de
l'Institut. - Mais l'esprit de parti
est aveugle dans les réactions
politiques, tous les services sont
oubliés et tous les droits méconnus.
Cavoleau fut destitué. - Après
avoir, grâce à M. de Barante, ancien
préfet de la Vendée, qui avait su
l'apprécier, rempli pendant quelque
temps les fonctions de conseil
pour les affaires contentieuses de
l'administration des contributions
indirectes, Cavoleau se retira chez
un de ses amis de Fontenay, où il
mourut en 1839, dans un état voisin
de l'indigence, car il avait au plus
haut degré les deux premières vertus
des hommes public : la probité et le
désintéressement.
Cavoleau, qui a travaillé jusqu'aux
derniers moments de sa vie, était
membre de la Société académique de
Nantes, des Sociétés d'agriculture,
philomathique et d'horticulture de
Paris, des Sociétés d'agriculture de
Niort, de La Rochelle, de Poitiers
et de plusieurs autres sociétés
savantes.
Une pierre tombale en granit, érigée
il y a quelque trois ans, au
cimetière de N.-D., par les soins de
la municipalité de
Fontenay-le-Comte, indique l'endroit
où reposent les cendres de Cavoleau.
Si le nom de cet homme de bien n'a
pas eu de retentissement, c'est
qu'enfant de la Vendée, il a
consacré toute sa vie au pays qui
l'a vu naître, et que c'est sur les
grands théâtres et dans les grandes
cités que la renommée distribue
surtout ses couronnes.
Le R. P. BAUDOUIN
Le R. P. Baudouin
(Louis-Marie), naquit à Montaigu le
2 août 1765. Sa mère, restée veuve
de bonne heure, entoura sa jeunesse
d'une grande sollicitude et
développa chez lui les sentiments
d'une vive piété. A 15 ans il perdit
cette excellente conseillère, et
fut, par l'intermédiaire d'un de ses
frères, vicaire à Chantonnay, placé
au séminaire de Luçon, où il se
montra un élève modèle. Effrayé des
devoirs qu'impose le sacerdoce, il
hésita un instant à recevoir les
ordres majeurs, et il ne fallut rien
moins que la main secourable de son
frère alors curé de Luçon, et de ses
supérieurs, pour lui faire franchir,
comme diacre, les degrès qui
devaient pour toujours le séparer du
monde. Après avoir professé avec
succès, et par ordre de ses
supérieurs, renoncé aux missions
étrangères, il était, par suite des
évènements, ordonné prêtre à
Saint-Malo par Monseigneur de
Pressigny, son évêque diocésien, Mgr
de Mercy, étant en ce moment aux
Etats-Généraux.

Maison près du pont Jarlet, à
Montaigu, où est né le R.P.
Baudouin.
Agé alors de 24 ans, il refuse avec
son frère le serment civil, et au
mois de septembre 1792, s'embarque
avec lui pour l'Espagne, d'où ils ne
revienrent qu'au mois d'août 1797 :
et c'est alors que d'accord avec son
ami Lebédesque, il résolut de mettre
à exécution le projet qu'il avait
conçu depuis longtemps ; je veux
parler de la fondation de la
Congrégation des Ursulines de Jésus.
Secondé par une femme d'élite, Mme
Charlotte Ranfray de la Rochette, en
religion Mme Saint-Benoist, et après
avoir desservi la Jonchère et
Saint-Cyr, il put, après sa
nomination de curé de Chavagnes,
voir se réaliser son plus cher
désir. En 1802 Mme Saint-Benoist
arriva à Chavagnes accompagnée de
Mme Saint-Arsène et de quelques
personnes qui se sentaient une
vocation pour la vie religieuse.
L'école s'ouvrit aussitôt et les
élèves y affluèrent. Telle fut
l'origine de la Congrégation des
Ursulines de Jésus qui, après un
siècle d'existance compte
aujourd'hui plus d'un millier de
religieuses et de nombreuses
maissons d'éducation, tant en France
qu'à l'étranger.
L'éducation des jeunes filles étant
assurée, il s'occupa de pourvoir à
celle des garçons, et à la fin de
1802, était fondé le séminaire de
Chavagnes.
Au mois d'août 1808, le père
Baudouin étant allé offrir ses vœux
à Napoléon 1er et à l'impératrice à
la Chardière, le grand capitaine lui
promit, pour le développement de son
œuvre, quatre-vingt mille francs qui
ne furent jamais versés. Mais le
zèle du père Baudouin pourvut à
tout. Un décret impérial ayant
soumis à l'inspection de
l'Université les écoles
ecclésiastiques secondaires, Mgr
Paillou transféra le grand séminaire
à La Rochelle et appela à sa
direction le supérieur de Chavagnes,
qui ne laissa pas sans un
déchirement de cœur les deux
communautés qu'il avait formées.
A La Rochelle comme partout, le père
Baudouin fut un prêtre admirable,
que son évêque nommait bientôt grand
vicaire de la cathédrale. Après des
événements de diverses sortes qui,
plus d'une fois, attristèrent le
cœur du vénérable prêtre, le
fondateur des Ursulines était, par
Mgr Soyer, appelé au poste éminent
de vicaire général et de supérieur
du grand séminaire de Luçon. Mais la
perte de sa sœur vénérée et quelques
difficultés avec son évêque,
altérèrent profondément sa santé.
Les dernières années passées sur la
terre ne furent pour lui qu'une
longue souffrance ; ses nerfs se
paralysèrent, si bien qu'il devint
insensible aux impressions du chaud
et du froid. On pouvait bien
appliquer ces vers du poète :
L'été n'a point de feux
L'hiver n'a point de glaces.
Le 12 février 1835, après une longue
agonie, il expirait au milieu de la
communauté qu'il avait créée par son
zèle, pourvue d'un hôpital, soutenue
de ses exhortations, édifiée par son
exemple (1).
(1) La collaboratrice du R. P.
Baudouin, Charlotte Ranfray de la
Rochette, née à Luçon le 4 novembre
1755, l'avait précédé au tombeau.
Elle était morte presque subitement
à Saintes, au mois de juillet 1828.
- La Vendée adonné aussi a la fin du
siècle dernier (31 juillet 1796), le
jour à une autre noble femme : Rose
Virginie Pelletier, née à
Noirmoutier, supérieure de la
Congrégation de N.-D. de Charité du
Bon Pasteur, morte à Angers en 1871.
Voir pour sa biographie et celle
de Charlotte de Ranfray : Les
Biographies vendéennes de Merlan T.
IV.
GARNEREAU
Garnereau
(Francois-Gabriel), naquit à
Fontenay-le-Comte le 14 septembre
1765, d'une famille d'honorables
commerçants. Après de bonnes études
au collège de sa ville natale et au
séminaire d'Angers, où il connut
l'abbé Soyer, plus tard évêque de
Luçon, et le fameux abbé Bernier,
Garnereau, chassé par la Révolution,
revint à Fontenay, où il occupa,
pendant quelque temps, une chaire de
professeur, mais le flot montant de
la démagogie le força de quitter
cette ville, et d'aller chercher un
asile au château de la Mothe, où il
fit la connaissance d'Henri de la
Rochejaquelein.
Ordonné secrètement prêtre à Nantes,
l'abbé Garnereau, grâce à un
passeport que lui procure un garde
national nommé Bompart, se réfugie
en Angleterre, où il devient
professeur de français. Il y reste
jusqu'au 18 brumaire. La voix de
Bonaparte, réveillant alors la
France de sa profonde léthargie,
rouvrit les églises et les collèges,
et Garnereau fut chargé de
réorganiser comme Principal celui de
Fontenay, qu'il dirigea d'une façon
remarquable jusqu'en 1811. - A cette
date, de Fontanes, ministre de
l'Instruction publique dont il était
l'ami, le chargea d'aller organiser
l'Université impériale dans les
collèges d'Italie. Après avoir
rempli cette mission avec ardeur,
l'abbé Garnereau est successivement
promu Principal du collège de Niort,
puis Inspecteur d'académie à
Poitiers et à Orléans.

Le chalet de Saint-Luc, actuellement
habité par M. Espierre d'après une
photographie de M. Gabriel Espierre.
En 1822 il abandonne l'enseignement
pour jouir de sa liberté et de la
fortune qu'il avait acquise. Il
revoit l'Angleterre, va en 1836
saluer le vieux roi Charles X en
exil, parcourt la Bavière, la
Hollande, et en 1842 toutes les
grandes villes d'Italie.
A partir de ce moment, l'abbé
Garnereau mena une existence plus
sédentaire. Retiré dans sa solitude
de Saint-Luc, près de Fontenay, au
lieu où s'élève le joli cottage de
M. Espierre, reproduit dans notre
texte, l'abbé Garnereau, assis sur
ces âpres rochers, sembla poursuivre
à l'horizon le souvenir de son
passé, comme un vieux matelot qui,
du port où il est retenu par les
ans, voit s'enfuir le vaisseau où
s'écoula sa jeunesse.
C'est dans cet asile de la paix, où
il semait à pleines mains le bien
autour de lui, que s'éteignit
doucement l'écrivain, le poète,
l'artiste, le grand chrétien que fut
l'abbé Garnereau, dont le cœur
repose dans un modeste oratoire
élevé au milieu même où le pieux
solitaire rendit I'àme le 3 juin
1847, après avoir donné presque tous
ses biens aux pauvres, et sa
précieuse bibliothèque à sa ville
natale.
Ses œuvres consistent principalement
en deux volumes in-8° intitulés
Opuscules littéraires, en prose et
en vers, et Voyages en
quelques parties de l'Europe.
Toutes portent le cachet d'une
honnêteté rigide et d'un travail
consciencieux. Le but poursuivi par
l'auteur n'a pas été surtout
d'amuser ses lecteurs, mais de les
instruire et de les rendre meilleurs
en leur enseignant une morale pure,
indispensable au bonheur des
individus et des peuples.
RENÉ GUINÉ
Parmi les marins illustres que le
Bas-Poitou a donnés à la France, il
n'en est pas de plus populaire que
celui de René Guiné, né aux
Sables-d'Olonne le 7 janvier 1768.
Sans doute il n'eut pas les grandes
places occupées par les Duchaffault,
les Vaugiraud, les Grimouard, les
Hector, les des Touches ; mais dans
un temps difficile, il protégea le
commerce, sauva la fortune des
armateurs de Bordeaux, de La
Rochelle des Sables-d'Olonne et de
Nantes.
Pendant que dans la Vendée,
Charette, Royrand, Marigny, de
Vaugiraud, Duchaffault et Grimouard,
les deux de Lézardière, et bien
d'autres, par peur d'une Révolution
qui les épouvante, refuseront leur
concours à la République, et la
plupart iront la combattre, leur
place sera prise par une jeunesse
inexpérimentée, mais ardente et
patriote, au premier rang de
laquelle allait se signaler le jeune
Guiné.
Simple enseigne de vaisseau en 1794,
au moment où la France, triomphante
de la coalition des rois, venait de
perdre une partie de ses colonies,
Guiné s'empare à l'entrée de la
rivière des Amazones de plusieurs
navires portugais, et sauve Cayenne
des mains de l'ennemi.
Chargé en 1796 d'une mission
secrète, il reçoit le commandement
de la corvette La Gaîté,
armée de vingt canons, avec ordre
d'éviter tout engagement avec
l'ennemi. Rencontré par la frégate
anglaise l'Arethuse, que
montaient quatre cents hommes
d'équipage, le commandant Guiné
oublia ses instructions, et plutôt
que de prendre chasse devant
l'ennemi, se prépara à le combattre.
La supériorité des forces de son
redoutable adversaire ne l'intimida
point, et après une lutte acharnée
de plusieurs heures et trois essais
d'abordage, La Gaîté, trouée
de boulets, faisant eau de toutes
parts, amena son pavillon.
L'Aréthuse conduisit sa prise en
Angleterre, mais elle lui coûtait
cher, car elle avait elle-même
tellement souffert qu'elle avait
peine à tenir la mer.
Malgré son dénouement, ce combat fut
considéré par tous les gens du
métier comme un des plus glorieux
qu'eut livré notre marine. Traduit
devant un Conseil de guerre pour
désobéissance aux ordres reçus, et
malgré l'admiration du jury pour
tant de bravoure, Guiné n'en fut pas
moins condamné à servir cinq ans en
sous-ordre. - Ce jugement d'une
sévérité inouïe produisit dans le
port de Rochefort une sensation
pénible, et un brave marin, le
vice-amiral Martin, parti comme
Guiné des derniers rangs de la
marine, s'approchant du capitaine de
vaisseau qui avait présidé le
Conseil de guerre lui dit à voix
basse : « Monsieur, si j'étais à
votre place, j'irais me pendre !
»
Embarqué en sous-ordre,
successivement sur le Rhinocéros,
la canonnière l'Ile-Dieu, la
corvette le Citoyen, la
frégate la Thémis, le
vaisseau Duguay-Trouin, la
gabarre La Lionne, ses chefs,
rendirent de lui un si brillant
témoignage qu'il fut appelé au
commandement de la corvette la
Bergère, chargée après la paix
d'Amiens de conduire l'ambassade
française à Constantinople et de
déposer des consuls dans toutes les
Echelles du Levant.
Mais pendant ce temps-là, les
gazettes anglaises redoublaient de
déchaînement contre la France, et
comme le disait le premier Consul «
Chaque vent qui se levait de
l'Angleterre ne lui apportait que
haine et outrage ». Au mois de
mai 1803, la guerre recommença avec
un nouvel acharnement.
Guiné commandait alors le lougre
l'Angélique, dont l'artillerie
se composait de six canons de
quatre. Attaqué devant la Teste par
le cutter anglais la Providence,
armé de seize canons de seize et
de dix-huit, il le força après un
combat opiniâtre à prendre le large.
La défaite de Trafalgar venait de
donner l'empire des mers aux
Anglais, qui insultaient nos côtes,
bloquaient nos ports, et couraient
sus aux navires qui se hasardaient à
en sortir. Mais si nos couleurs ne
flottaient plus sur nos escadres, de
hardis corsaires les arboraient
encore en haut de leurs mâts.
Pendant qu'ils ruinaient le commerce
de l'Angleterre, Guiné entreprenait
de protéger et de défendre celui de
la France. Pour y parvenir, il
organise dans le port des Sables,
une flottille composée de quinze
péniches, ayant à leur tête un
lougre, Le Rapace, qu'il
monte aussi fièrement que s'il eut
été le vaisseau amiral. Pendant dix
ans, avec une activité, une
patience, un courage qui ne se
lassent jamais, il accompagne les
convois de Bordeaux à La Rochelle,
de La Rochelle à Nantes, ayant Les
Sables-d'Olonne pour port de refuge.
Luttant.contre les tempêtes,
côtoyant la terre, et pour éviter
d'être pris, s'exposant au naufrage,
il sauve de 1805 à 1811, plus de
trente navires et s'empare de
plusieurs bâtiments anglais.
Le 23 février 1809, trois frégates
françaises aux ordres du vice-amiral
Jurien de la Gravière, bloquées dans
le port des Sables par l'escadre de
l'amiral Stopfort, sont dégagées
grâce surtout au feu nourri des
batteries de terre, dont la plus
importante, celle de Saint-Nicolas,
est sous les ordres du capitaine
Guiné. On se battait de si près
qu'un nuage de fumée dérobait
souvent la vue des combattants.
La terreur qu'inspirait Guiné à
l'Angleterre était telle, que tous
les navires qui sortaient de ses
ports avaient pour mot d'ordre cette
recommandation si honorable pour lui
: « Défiez-vous du commodore
Guiné dans le golfe de Gascogne
».
Le 24 mars 1812, la chambre de
commerce de Nantes, en témoignage de
gratitude, offrait à Guiné une épée
d'honneur, et la ville de La
Rochelle ne voulant pas demeurer en
reste avec celle de Nantes, lui
faisait don d'un instrument de
marine.
Guiné eut non seulement l'estime de
ses concitoyens, mais aussi celle de
ses ennemis, et la paix signée après
la chute de Napoléon, le commandant
de la croisière anglaise, dans le
golfe de Gascogne, voulut faire la
connaissance du vaillant capitaine
qui avait défendu la station des
Sables. Il l'invita à sa table et
lui exprima vivement les entiments
qu'il avait pour sa personne et son
caractère.
Nommé officier de la Légion
d'honneur par Louis XVIII, le 18
août 1814, il fut, après les Cent
jours, rayé des cadres de la marine,
avec une misérable pension de 750
francs. Triste effet de nos
discussions politiques et faute trop
souvent renouvelée par les
gouvernements, quand, au lieu
d'accueillir tous les dévouements à
la patrie, sous quelque drapeau
qu'ils l'aient servie, obéissant au
sentiment de la rancune ou de la
colère, en font une politique
d'exclusivisme.
Guiné, qui n'avait que 47 ans quand
il fut arrêté dans sa carrière, ne
put se résigner au repos, qui, pour
un homme aussi actif, était une mort
anticipée. - La mer, avec ses
tempêtes et ses écueils, conserve
pour tous ceux qui l'ont parcourue
longtemps, des charmes
irrésistibles, et Guiné ne voulut
pas la contempler du rivage.
Sans fortune, après avoir été
capitaine de frégate, il devint
capitaine d'un navire de commerce du
port de Nantes. Mais au sein de ces
nouvelles occupations, la certitude
de ne plus pouvoir se mesurer avec
l'ennemi, le laissait, en souvenir
du passé, plein de regrets et de
tristesse. La conscience d'avoir
toujours bien servi son pays et de
pouvoir le servir encore, le
sentiment de l'injustice dont il
était victime, et aussi peut-être
une noble ambition, troublaient
continuellement sa pensée : il n'en
parlait guère, mais il en était sans
cesse tourmenté : il se
soumettait, mais ne se résignait pas.
Le chagrin, les fatigues, les
blessures, les infirmités usèrent
avant l'âge un corps d'ailleurs peu
robuste, mais qu'animait toujours
une âme ardente. Le 4 décembre 1821,
à l'âge de 53 ans, Guiné mourait à
Nantes. La ville qui l'avait tant
honoré de son vivant (1) ne l'a pas
oublié après sa mort. Elle lui a
élevé une tombe sur la table de
marbre de laquelle on peut lire
encore la recommandation que
l'amirauté donnait aux navires
anglais : « Défiez-vous du
commandant Guiné dans le golfe de
Gasgogne (2) ».
(1) La ville de La Roche a donnée le
nom de Guiné à une de ses rues, et
celle des Sables à un de ses quais.
(2) Extrait analytique de là
biographie de Guiné, par Merland.
LE GÉNÉRAL BELLIARD
Belliard
(Augustin-Daniel),
comte de Plock, général de division,
pair de France, ambassadeur à Vienne
et à Bruxelles, grand-cordon de la
Légion d'honneur, naquit à
Fontenay-le-Comte, le 25 mai 1769,
la même année que le grand capitaine
qu'il devait accompagner sur tant de
champs de bataille. Député par la
ville de Fontenay, à la fête de la
Fédération du 14 juillet 1790, il
revint de Paris plein
d'enthousiasme, et l'année suivante,
ses concitoyens l'élisaient
capitaine de la 1re compagnie du
bataillon des volontaires formé à
Fontenay pour aller combattre
l'ennemi. Belliard rejoignit l'armée
du Nord, où il demeura pendant
quelque temps sous les ordres de
Dumouriez. A Valmy, au milieu de la
canonnade, il transmet d'un corps
d'armée à un autre, les ordres de
Beurnonville. A Jemmapes, bien que
blessé d'une chute de cheval, il
prend néanmoins part à la charge
brillante fournie par le 1er
hussards de Bercheni, où se
trouvaient beaucoup de Vendéens, et
qu'il avait lui-même conseillée.
En 1796, il va rejoindre cette
glorieuse armée d'Italie que
commandait un jeune général de 27
ans, prend part à tous les combats
et, lorsque le vainqueur d'Arcole un
drapeau à la main, se jette au
milieu des boulets et des balles
pour électriser ses troupes,
Belliard est au nombre des officiers
qui l'entourent et le couvrent de
leur corps ; et lorsque Bonaparte
est précipité dans un marais, c'est
Belliard qui rallie les grenadiers,
se précipite à son tour sur les
Autrichiens et dégage son général.
Nommé général de brigade, sur la
présentation de Bonaparte, Belliard
refuse ce nouveau poste, pour lequel
il se juge insuffisamment préparé.
Ne croit-on pas être au. temps des
Républiques antiques et lire une
page de Plutarque ?
Dans la campagne du Tyrol, il se
multiplie au passage du Lavis, à
Trente, à Brixen, où il fait 2.000
prisonniers au général autrichien
Landon, et lui enlève quatre pièces
de canon.
Le 9 février 1798, il s'empare de
Civita-Vecchia, presque sans avoir
éprouvé de résistance, et rejoint à
Rome le général Berthier, qui
bientôt ne tardait pas à l'envoyer
avec une mission diplomatique à
Naples, pour y maîtriser un peu les
fureurs de la cour.
La France allait porter son drapeau
sur l'antique terre des Pharaons et,
là encore, Belliard devait se
couvrir de gloire. Le 10 juin 1798,
il contribue puissamment à la prise
de Malte ; Alexandrie n'est qu'une
étape pour l'armée française qui
s'avance sur le Caire. Au village de
la Chebreiss, les mamelucks se
précipitent sur la division Desaix.
Pour la première fois, nos soldats
se mesuraient avec ces hardis
cavaliers que, plus tard, ils
devaient rencontrer si souvent. Le
général Belliard forme la
vingt-unième demi-brigade en
bataillons carrés, et toute la furie
des mamelucks vient se briser contre
leurs baïonnettes. Au combat de
Samnhour, Mourad-Bey allait encore
se heurter contre l'aile droite de
la petite armée de Desaix, commandée
par Belliard qui, secondée par
l'artillerie, devait mettre les
mamelucks en déroute.
Les poursuites allaient néanmoins
recommencer contre un ennemi
insaisissable, mais Belliard ne se
bornait pas à combattre : tout ce
qui appartenait à la science, à
l'histoire, à la géographie, était
de son domaine et l'intéressait
vivement. Les savants, emmenés par
Bonaparte, ne trouvèrent jamais un
meilleur ami que Belliard.
L'armée française sillonnait
l'Egypte en tous sens et
franchissait les sables du désert.
Belliard toucha presque les
cataractes, et on vit nos drapeaux
triomphants dans des contrées où
l'aigle romaine n'avait jamais
pénétré. Après avoir vaincu, au
village du Benouth, le shérif Assan,
il prend part à la bataille du Caire
où, sous les ordres de Kléber, dix.
mille français eurent à lutter
contre soixante-dix mille ennemis.
Les Osmalis s'étant précipités,
suivant leur habitude, sur le
premier corps qu'ils rencontrèrent,
corps aux ordres de Belliard, furent
arrêtés par les volées de mitrailles
et dispersés. Après avoir combattu à
Héliopolis, à Koraisie, repris
Damiette, s'être trouvé à l'attaque
du Caire où il avait reçu une
glorieuse blessure, Belliard fut
nommé général de division et, peu de
temps après, rentrait à Paris, d'où
le premier consul, qui lui avait
fait l'accueil le plus flatteur,
l'envoyait à Bruxelles prendre le
commandement de la 24e division
militaire ; il y resta jusqu'en
1804.
Chef d'état-major de Murat, il fut à
Austerlitz (2 décembre 1805),
classé brave parmi les braves,
et nommé grand officier de la Légion
d'honneur sur le champ de bataille.
Gouverneur de Berlin pendant quelque
temps, Belliard, dans les trois
campagnes d'Austerlitz, d'Iéna et de
Friedland, toujours aux côtés de
Murat, partage ses dangers, et sa
gloire.
Maintenant, d'autres guerres et
d'autres devoirs vont appeler le
glorieux Fontenaisien sous de
nouveaux climats. Nommé gouverneur
de Madrid, Belliard devient le
conseiller intime du roi Joseph, qui
bientôt, fuyant devant l'émeute,
allait abandonner sa capitale. Le 2
octobre, Madrid, attaquée par nos
troupes, allait être prise d'assaut,
quand la Junte, pour éviter les
horreurs du pillage, en livra les
portes au général Belliard, malgré
les cris d'une population furieuse.
Redevenu gouverneur de Madrid,
Belliard sut contenir les esprits,
autant par la modération que par la
fermeté, et plusieurs fois, empêcha
le sang de couler, en se rendant
seul au milieu des insurgés.
Créé comte de l'Empire et comblé
d'honneur par le roi Joseph, il n'en
reportait pas moins souvent ses
regards sur la Vendée, que les
longues et cruelles guerres avaient
plongée dans la désolation et la
misère. Propriétaire de vastes
domaines en Espagne, il créa à Pahu,
près Fontenay, une bergerie-modèle,
par le croisement des mérinos de la
Péninsule avec des brebis du pays,
et il arriva ainsi à un métissage
qui ne s'éloignait que très peu de
la race pure. Non content d'avoir
doté la Vendée de ce puissant
élément de richesse, il créa un
magnifique haras, où il envoya six
belles juments destinées à la
reproduction et des chevaux arabes.
D'Espagne, il envoya également à la
terre de Pahu, quatre étalons et
cinq juments provenant de
l'Andalousie, et quelque temps après
une jument et un cheval anglais,
pris à la Corogne.
Nommé le 29 août 1811 chef
d'état-major de Murat à la Grande
Armée, il alla rejoindre, dans les
premiers jours de juin 1812, le roi
de Naples, avec lequel il entrait
bientôt à Wilna. Nous le voyons
ensuite à Ostrowno, à Witeps, à
Smolensk, à Dorogobonge, à Borodino.
Dans cette dernière journée,
Belliard avait eu deux chevaux tués
sous lui. Le lendemain, 8 septembre,
à Mojaisk, un boulet lui emportait
le mollet gauche et l'empêchait
d'être appelé au gouvernement de
Moscou que l'Empereur lui destinait.
Napoléon avait espéré trouver la
paix devant Moscou : il n'y trouva
que l'incendie, et alors commença
cette fameuse retraite, disons
plutôt cette déroute, où fut
anéantie la plus belle armée qui eut
jamais sillonné l'Europe, où le
froid et la faim détruisirent plus
de braves que le fer de l'ennemi
n'en avait atteints depuis vingt
ans.
Parti de Moscou avec une énorme
plaie à la jambe gauche, Belliard
est tantôt conduit en voiture,
tantôt à cheval, et quand le dernier
cheval est tombé sur la neige, les
aides-de-camp, les secrétaires et
les domestiques le portent à dos.
Robert Dubreuil, Pierre Auman, fils
de sa nourrice, et un domestique
nommé Louis Schalie, sont ceux qui
le plus souvent s'en partagent le
fardeau.
A peine guéri de ses blessures, il
apporte dans ses nouvelles fonctions
de colonel-général des cuirassiers,
une activité prodigieuse pour
réorganiser le corps de la
cavalerie, et quand l'Empereur,
parvenu à refaire une armée, ouvre
la campagne de Dresde, il l'appelle
auprès de lui en qualité d'aide
major de l'armée.
Les victoires de Lutzen et de
Bautzen rendirent à l'Empereur toute
sa confiance et aussi, hélas ! tout
son intraitable orgueil. Il ne
voulut plus accepter la paix, si
honorable qu'elle lui fut proposée ;
il voulut l'imposer. Cependant le
besoin de la paix était devenu si
général, que jusque dans les rangs
de l'armée on la demandait à haute
voix, et Belliard eut le courage de
dire hautement au maître impérieux,
ce que beaucoup pensaient, mais
n'osaient exprimer.
Honorable, mais vaine tentative :
l'Empereur demeura intraitable et
Belliard, qui désirait vivement la
paix, continua la guerre avec la
même ardeur. Après avoir combattu à
Dresde, il combattit à Leipzick, y
eut deux chevaux tués sous lui et le
bras gauche brisé par un éclat de
mitraille. Sa blessure ne lui fit
point quitter les rangs et nous le
retrouvons encore à la bataille de
Hanau.
Berthier ayant suivi Napoléon à
Paris, Belliard est nommé major
général de l'armée et envoyé en
cette qualité à Metz, où il fait
preuve d'un génie organisateur de
premier ordre, mettant nos troupes,
manquant de tout, atteintes par le
typhus, en mesure de résister au
nouveau choc de l'ennemi.
Alors commence cette héroïque
campagne de France, où le nom de
Belliard se rencontre à chaque page
dans l'histoire de cette lutte
suprême.
Le 11 février, portant un bras en
écharpe, il charge les Russes
retranchés à la ferme de la
Haute-Epine et contribue à la
victoire de Montmirail. Le 12, au
combat de Château-Thierry, l'extrème
droite de l'armée ennemie, tournée
par ses escadrons, se sauve en
désordre à travers les bois. Le 10
mars, devenu commandant de toute la
cavalerie de la garde, il prend part
à la bataille de Laon. Le 12, il est
à Reims, et le 25 à la malheureuse
affaire de la Fère-Champenoise, où
la cavalerie ne cède que devant des
forces écrasantes.
Il est un épisode de cette journée
qui touche trop directement à notre
pays pour qu'elle ne trouve pas sa
place ici. Le général Pacthod, à la
tête de recrues de paysans des
départements de l'Ouest, n'ayant pas
reçu les instructions que le
maréchal Mortier lui avait envoyées,
n'arriva sur le champ de bataille de
la Fère-Champenoise que lorsque les
maréchaux étaient en pleine déroute.
« Rencontrés par toute l'armée
alliée, dit M. de Norvins, dans son
Ilistoire de Napoléon, ils se
disposèrent à vendre chèrement leur
vie. Les gardes russe, prussienne et
autrichienne se brisèrent contre ces
bataillons rustiques ; la mêlée
devint affreuse. Les hommes de
toutes les nations assaillirent
cette poignée de Vendéens qui, la
veille du retour des Bourbons,
jurèrent de mourir pour Napoléon,
refusèrent quartier et périrent
presque tous », excitant, ajoute M.
Thiers, l'étonnement et l'admiration
du roi de Prusse et de l'empereur de
Russie.
Ainsi, quel que soit le drapeau sous
lequel aient combattu les Vendéens,
le sentiment de l'honneur les a
toujours animés également, et le
moment est venu depuis longtemps de
rejeter ces démonstrations
injurieuses qu'enfanta l'esprit de
parti. « N'ayons plus qu'un nom dans
la Vendée, nous pourrions
difficilement, dit un écrivain, en
trouver un autre plus honorable. »
Le 30 mars a lieu à Fromenteau cette
scène poignante que Thiers a si bien
reproduite, et pendant laquelle
Belliard apprend à l'Empereur la
capitulation de Paris. Alors
commença l'agitation de l'agonie, et
à Fontainebleau, de tous ces
généraux qu'au temps de sa fortune,
il avait comblés d'honneur et de
richesses, Napoléon ne trouva autour
de lui pour recevoir ses adieux, que
quelques-uns de ses compagnons
d'armes : Petit, Drouot,
Bertrand, Gaulaincourt et Belliard.
Délié de ses serments par Napoléon,
Belliard vint offrir ses services
aux Bourbons qu'il accompagna
jusqu'à Beauvais, après.avoir
indiqué loyalement au duc de Berry,
qui l'affectionnait beaucoup, la
ligne de conduite qu'il se proposait
de suivre : « S'il n'y a. pas de
guerre, dit-il, je ne prendrai pas
de service, mais si l'ennemi se
présente, on me verra dans l'armée
pour défendre mon pays. »
Les couleurs impériales flottent de
nouveau au sommet des Tuileries,
Belliard est reçu par le souverain
auquel il fait connaître les
obligations qu'il a prises avec les
princes, et le supplie de ne lui
offrir en ce moment aucun
commandement. Mais l'Europe était de
nouveau liguée contre nous. Le 9 mai
il arrivait à Naples pour seconder
Murat. Après la bataille de
Tolentino, si fatale aux armes du
beau-frère de l'Empereur, Belliard,
après avoir rendu visite à
l'infortunée reine, s'embarque sur
une goëlette qui, à travers les
dangers de toute nature, le débarque
à Toulon le 29 mai.
A peine rentré à Paris, Belliard est
nommé au commandement des 3° et 4°
divisions militaires et établit son
quartier-général à Metz. Il se hâte
de mettre les places en état de
défense et fait appel à ces braves
populations de l'Est. A sa voix le
soulèvement est presque général et
dans quelques jours, les seuls
départements des Vosges, de la
Meurthe et de la Moselle équipent et
arment quarante-cinq bataillons de
garde nationale. Mais c'est un duel
à mort ; dans les champs de Waterloo
allait s'abîmer la fortune du plus
grand capitaine du siècle. Le
nouveau régime ne devait pas oublier
et comprendre dans sa liste de
proscriptions le vaillant soldat qui
n'avait offert son épée à l'Empereur
que pour combattre l'étranger. Le 21
novembre il fut conduit à l'Abbaye,
où il trouva bonne compagnie :
Drouot, Cambronne, Ornano. Après un
mois de captivité, il fut remis en
liberté et entra dans la vie privée,
d'où il ne sortit qu'au 5 mars 1819,
époque où le ministère libéral et
réparateur Decaze le rappela à la
Chambre des pairs, dont il avait été
nommé membre lors du dernier retour
des Bourbons. Profondément attaché
aux principes de 89, préparé par ses
anciennes fonctions à la conduite
des hommes et des affaires. Belliard
prit une part sérieuse aux
discussions parlementaires qui
eurent tant d'éclat sous les
Bourbons, et s'il ne fut pas un
orateur brillant, il eut dans la
plupart des grandes Commissions un
rôle prépondérant. Dès l'année 1815,
il avait remis entre les mains du
duc de Berry un projet
d'organisation de l'armée, qui,
refait quelques années après par le
général Gouvion Saint-Cyr, est resté
pendant longtemps sous le nom de loi
de recrutement de l'armée, la base
de notre système militaire.
Sous le ministère de Villèle, il fut
chargé de préparer contre Alger un
plan d'attaque. Mais ce plan
comportant un effectif de 50.000
hommes et une dépense de cent
millions, M. de Villèle ne crut pas
dans ce moment la France assez riche
pour payer sa gloire, et l'exécution
du projet fut ajournée.
Très au courant des questions
orientales, il faillit en 1828 être
nommé chef de l'expédition de Morée,
mais le général Maison lui fut
préféré, la Restauration ayant à
s'acquitter d'une dette envers lui,
et voulant la payer par le bâton de
maréchal de France.
Ancien compagnon d'armes de
Louis-Philippe d'Orléans, aux côtés
de qui il avait combattu à Valmy et
à Jemmapes et avec lequel il n'avait
pas cessé, sous la Restauration,
d'entretenir des relations, Belliard
adhéra sans arrière-pensée au
gouvernement de juillet, qui
n'allait pas tarder du reste à faire
appel à ses lumières et à sa haute
autorité morale. Accueilli avec une
froideur non déguisée par les cours
étrangères, la nouvelle royauté
chargea Belliard d'aller notifier, à
Vienne, l'avènement de
Louis-Philippe au trône et de le
faire accepter comme roi des
Français.
La tâche était difficile, car il y
avait alors non seulement à la cour
d'Autriche, mais chez presque tous
les souverains étrangers, comme un
regret du passé. Le renversement de
Napoléon leur paraissait alors une
faute politique, parce qu'ils se
souvenaient qu'il avait enchaîné la
Révolution et qu'ils étaient
convaincus qu'il n'aurait jamais
voulu rouvrir ce qu'ils appelaient
l'outre des tempêtes,
c'est-à-dire d'après eux, donner
l'essor aux idées libérales. Malgré
les dispositions peu bienveillantes,
au début, de l'Empereur et de son
premier ministre, le prince de
Metternich, l'un des plus vieux et
des plus habiles représentants de la
diplomatie en Europe, Belliard
partait de Vienne avec la
reconnaissance du gouvernement de
juillet par l'Autriche, les vœux
bien sincères de l'Empereur pour sa
durée.
Le soulèvernentde la Belgique allait
fournir à Belliard une nouvelle
occasion de faire montre de ses
talents diplomatiques, et la
situation particulière de la France
dans ce conflit demandait, de son
côté, un grand tact et l'alliance de
la modération à l'énergie.
Belliard, appelé d'une commune voix
par les Belges comme représentant de
la France, se rendit à Bruxelles, où
il avait laissé les meilleurs
souvenirs ; mais l'envoi dans cette
capitale d'un homme de guerre aussi
distingué que Belliard fut loin de
tranquilliser l'Europe, dont lord
Wellington se fit l'organe en
déclarant à la tribune que la
nomination comme ambassadeur en
Belgique d'un des meilleurs soldats
de l'Europe, n'était pas un symptôme
bien rassurant pour la paix
générale. Lord Wellington se
trompait : la France ne désirait pas
davantage la guerre que
l'Angleterre. Belliard n'avait donc
plus, comme à Vienne, à faire
reconnaître le roi Louis-Philippe ;
il devait travailler à établir sur
des bases inébranlables le
gouvernement qui allait se fonder à
Bruxelles, et à cet effet soutenir
la Révolution belge et la contenir
au besoin. Comment arriver à une
transaction raisonnable entre la
Belgique et la Hollande ? Comment
éteindre, ou du moins atténuer ces
sources d'inimitiés profondes et
irréconciliables qui sont la
conséquence forcée du partage entre
Etats ? Quelle part de la dette
publique affecter à chacune des
parties contendantes, etc. Dans des
conjonctures aussi graves, Belliard
s'étudia à inspirer à la Belgique
une confiance entière dans la France
et il y réussit. Mais la Hollande
refusait son adhésion à la plupart
des mesures prises par les
puissances intéressées, réunies en
conférences à Londres et une armée
des Pays-Bas entrait en Belgique.
Bientôt une armée française de
50.000 hommes vint au secours de son
alliée, et la ville d'Anvers aurait
été certainement bombardée et
détruite par le général Chasse, sans
l'intervention généreuse de
Belliard.
Enfin le 15 novembre 1831, un traité
constituait définitivement la
Belgique en Etat indépendant,
brisait l'œuvre du Congrès de Vienne
et éloignait de ses frontières les
soldats de la Sainte-Alliance. Très
jaloux de la dignité de la France et
par conséquent de celle de son
représentant, il ne voulait pas
qu'on lui manquât, même quand il ne
s'agissait que de lui, de
l'étiquette et du cérémonial. Choisi
par les membres de la Conférence à
Bruxelles pour en présider les
séances, il arriva qu'un jour, où il
était un peu en retard, il trouva le
fauteuil de la présidence occupé par
le représentant de la
Grande-Bretagne, et comme le noble
lord ne se pressait pas à le lui
céder, Belliard prit un fauteuil, le
plaça devant lui et s'y installa
carrément.
Le roi Louis-Philippe ne ménageait
pas à Belliard les témoignages de sa
haute estime. et le roi Léopold
savait bien montrer en toute
circonstance les sentiments que lui
inspiraient l'honneur et la loyauté
qu'il avait déployés dans sa manière
d'agir pendant les négociations.
Les difficultés du côté de la
Belgique aplanies, Belliard allait
être nommé à l'ambassade de Madrid
et se retrouver ainsi sur un des
anciens théâtres de ses guerres,
mais le destin en disposa autrement.
Le 28 janvier 1832, en sortant du
palais du roi, il tomba dans le parc
de Laeken frappé d'une apoplexie
foudroyante.
Sa mort fut un deuil pour la
Belgique tout entière. Les
Hollandais, qu'il n'avait jamais
trompés par les roueries de la
diplomatie, et qui avaient apprécié
sa droiture et sa franchise,
s'associèrent eux-mêmes à ces
regrets, et dans une lettre intime,
complètement étrangère à la
diplomatie, lord Ponsouby rendit
hommage à l'homme qui s'était
toujours montré « fidèle à son pays,
fidèle à ses amis, fidèle à ses
ennemis. »
Les cendres de Belliard reposent au
cimetière du Père-Lachaise, à Paris.
OUVRARD, GABRIEL-JULIEN (1770-1846)
Ouvrard
(Gabriel-Julien),
célèbre financier
français, qui, sous l'Empire et la
Restauration a joué un rôle des plus
actifs et des plus considérables
dans tous les grands événements qui
ont marqué la fin du XVIIIe siècle
et les débuts du XIXe, naquit le 6
novembre 1770, aux Moulins
d'Antières, commune de Cugand, où
son père était contremaître. En
possession d'une instruction
élémentaire et simple employé de
commerce à Nantes, à l'âge de
dix-sept ans, il s'y distingua par
des dispositions étonnantes pour les
mathématiques, une ambition
démesurée et des rêves de fortune
sans fin. - A la veille de la
Révolution, alors qu'il n'avait pas
vingt ans, il aborda des
spéculations qui, aujourd'hui,
feraient hésiter nos maisons de
commerce les plus puissantes. A
vingt-cinq ans, il a acquis une
fortune égale à celle des grands
capitalistes qui nous étonnent
encore aujourd'hui à Paris. Pendant
trente ans il est le banquier de
l'Etat, et c'est lui qui négocie les
emprunts contractés sous l'Empire et
sous la Restauration ; ces
négociations atteignent le chiffre
de plusieurs milliards.

Vieux logis d'Antières, où est né le
fameux Ouvrard. (Cliché Aug.
Douillard, de Montaigu)
Il fut le grand munitionnaire des
armées de la République, de l'Empire
et de la Restauration, qui faillit
échouer dans son expédition
d'Espagne pour avoir hésité au
commencement à demander ses
services.
« Quand l'empereur déclara le blocus
continental, il fut chargé, auprès
du prince de la Paix, de négocier
l'entrée de l'Espagne dans la
coalition des Etats, et de stipuler
les subsides que fournirait le
gouverment espagnol, et ce fut lui
ensuite qui traita avec l'Angleterre
et obtint que sa flotte vint
convoyer les vaisseaux espagnols qui
ramenaient ces trésors d'Amérique ;
le grand Pitt ne se doutait pas à
coup sûr qu'il travaillait pour la
France. Parmi les missions qui lui
furent confiées par le gouvernement
de France, la moins étonnante n'est
certainement pas celle qu'il remplit
au Maroc ; il y déploya un luxe qui
étonna ces barbares ; il est le
premier ambassadeur qui pénétra à la
cour de Méquinez et en rapporta le
premier traité conclu par notre pays
avec ce chef de l'Islamisme
occidentale. Le pape Pie VII,
pendant sa captivité, ayant formé le
projet de ressusciter l'ordre des
chevaliers de Malte, fit demander à
Ouvrard, par le cardinal Consalvi,
un rapport sur cette question et les
ressources financières qui en
pourraient résulter pour les Etats
pontificaux. La Grèce, après la
bataille de Navarin, le pria de
dresser un état des impôts
susceptibles d'enrichir cette
nouvelle monarchie, et les mesures
de perception à introduire chez ces
populations récemment émancipées.
Cet homme pourtant a été persécuté
de son vivant, discuté après sa
mort; et, chez nous même, où il a
pris naissance, il n'est connu. que
par les injures de journaux jaloux
de toutes les supériorités, et les
libelles de ses ennemis qui avaient
intérêt à faire de son nom une
cible, à cette époque agitée par
tant de passions et de haines
politiques.
Il mourut en 1846 (1).
(1) Echos du Bocage vendéen, p.
146.
ISIDORE MASSÉ
Ch. Massé Isidore,
avocat à Nantes, était né à
Bazoges-en-Paillers, canton de
Saint-Fulgent. Après avoir rempli
les fonctions de fourrier ou
commissaire des vivres dans l'armée
royaliste, en 1815, il devint
instituteur aux Brouzils et occupa
cet emploi pendant quelques années.
Son mariage avec une femme dans
l'aisance lui permit de se faire
recevoir avocat à la Faculté de
Rennes. C'est alors qu'il vint se
fixer à Nantes, où il plaida, et de
royaliste devint libéral. Il entra
en relations avec Mangin et
collabora à son journal l'Ami de
la Charte, aujourd'hui le
Phare de la Loire. C'est lui qui
signait les articles sous le
pseudonyme Hibou de Launay.
Il composa également, dans ses
loisirs du barreau et du
journalisme, La Vendée poétique
et pittoresque, éditée en 1829
par l'imprimerie du Commerce. La
Révolution de juillet 1830 ayant eu
lieu sur ces entrefaites, il demanda
et obtint la justice de paix des
Herbiers, où il mourut (1).
(1) Extrait des Echos du Bocage
Vendéen, Ve année, n° 6.
LE GÉNÉRAL BARON DE LESPINAY
Le général
Louis-Armand de Lespinay,
né à Chantonnay le 19 février 1789,
fut le 19 novembre 1804 nommé page
de l'Empereur, qu'il accompagna à
Milan, lors du couronnement, puis en
1806 à Iéna, à Varsovie, à Eylau et
à Friedland, où sa brillante
conduite lui valut à 18 ans la croix
de la Légion d'honneur. Nommé par
décret du 21 juillet 1808 officier
d'ordonnance de l'Empereur. il va
rejoindre à Bayonne Napoléon qu'il
accompagne à la journée de
Soino-Sierra, à la prise de Burgos,
à l'entrée à Madrid. Il prend
ensuite part à la pénible campagne
de Corogne, inspecte en 1809 les
régiments Wurtembergeois et
Westphaliens campés à Metz, remplit
une mission analogue à Dresde et à
Varsovie, et de là se rend à
Saint-Pétersbourg, avec une lettre
autographe pour l'Empereur de Russie
qui le reçoit avec la plus brande
courtoisie. Après avoir rempli avec
beaucoup de tact et de bonheur la
mission diplomatique qui lui avait
été confiée, il rejoint à Schœnbrunn
l'Empereur qui, à la suite d'une
action d'éclat le comble d'honneurs.
Nommé chef d'escadron le 13 janvier
1811, il prend part à la funeste
campagne de 1812, franchit le Niémen
le 22 juin, assiste aux engagements
de Palotok et de la Drisa, et se
signale au passage de la Bérézina.
Placé avec les restes de son
escadron à l'arrière-garde, il
protège de son solide courage la
retraite sur une longue suite de
ponts chancelants, où tant de braves
trouvèrent la mort. Blessé de
plusieurs coups de lances à Vélikia,
il fut le 26 février 1814 créé baron
de l'Empire.
Nommé rapidement lieutenant-colonel,
puis colonel par la Restauration, il
accompagna le 20 mars 1815 (1) le
roi fugitif jusqu'à la frontière. En
1823, il se distinguait pendant la
campagne d'Espagne, obtenait la
reddition de la ville du Ferrol, et
au mois de mai 1825, accompagnait à
Reims l'escadron de son régiment,
1er cuirassier désigné pour assister
au sacre de Charles X. Promu au
grade de maréchal-de-camp le 29
décembre 1828, et appelé le 25
juillet 1830 au commandement d'une
brigade à Lunéville, il quittait, le
29 du même mois, Paris, déjà au
pouvoir de l'émeute, et rentrait
dans ses foyers, àgé seulement de 41
ans. Le 1er juin 1869, il mourait
conseiller général du canton des
Essarts ; après avoir rendu les plus
grands services à l'agriculture.
(1) Il avait été promu colonel la
veille.
LARGETEAU, MEMBRE DE L'INSTITUT
Largeteau (Charles
Louis),
naquit en 1791 à
Mouilleron-en-Pareds, de parents peu
fortunés. Son père ayant été tué à
la bataille du Mans en 1793, le
jeune Largeteau fut recueilli par un
de ses oncles qui habitait
Fontenay-le-Comte. Après avoir fait
de brillantes études au collège de
cette ville et au lycée de Poitiers,
il entrait en 1809 à l'école
polytechnique avec le numéro 19 sur
180. Placé dans le corps des
ingénieurs hydrographes, il prit une
part active aux travaux. que le
Dépôt de la guerre faisait exécuter
pour la confection de la nouvelle
carte de France. Chargé avec le
colonel Brousseaud de mesurer
l'arc du parallèle moyen compris
entre l'Océan et la Savoie, il fit
presque tous les calculs ; ce qui
lui valut les plus chaleureuses
félicitations de Brousseaud et de
Puissant. Nommé astronome au bureau
des longitudes, il fit avec le
colonel Bonne de curieuses
observations astronomiques de
latitude et d'azimut sur le
parallèle de Paris entre Strasbourg
et Brest. En 1825, le gouvernement
français le nommait membre de la
Commission anglo-française chargée
de procéder à une nouvelle mesure de
la différence de longitude entre les
observatoires de Paris et de
Greenwich. Ces nouveaux travaux lui
valurent les plus chaleureuses
félicitations de la part de la
Société royale de Londres. Appelé en
1832 aux fonctions de
secrétaire-bibliothécaire de
l'Observatoire et chargé de la
vérification des calculs de la
connaissance des temps, Largeteau
justifia par des réformes profondes
la confiance qu'on avait mise en
lui, et qui lui fut continuée,
lorsque plus tard l'Observatoire lui
confia les calculs d'une nouvelle
table de précession, d'aberration et
de mutation pour 115 étoiles.
Lorsque le bureau des longitudes
nomma une Commission chargée de
calculer la longueur de l'arc du
méridien compris entre les
parallèles de Montjouy et de
Fromentaro, Largeteau fut l'un des
trois commissaires, et montra à
cette occasion que la méthode de
rectification d'un arc du méridien
due à Legendre, pouvait, après avoir
subi une modification convenable,
être avantageusement employée (ce
qui jusqu'alors avait été jugé
inadmissible), lors même que les
sommets des triangles s'éloignaient
considérablement du méridien
principal, comme cela a eu lieu dans
la triangulation de Biot et d'Arago.
Le 10 juillet et le
30 octobre 1843, il présentait à
l'Académie des sciences un travail
très important apprécié de tous les
savants, sur les
tables lunaires.
Nommé académicien libre le 4
décembre 1817, il ne cessa depuis
cette époque jusqu'à sa mort,
arrivée le 11 septembre 1857, d'être
un collaborateur très actif de la
connaissance des temps.
Savant modeste et homme de bien
dans, toute l'acception du mot,
caractère franc et loyal, plein de
tendresse pour les siens, de
dévouement pour ses amis, Largeteau
ne laissa après lui qu'une fille
mariée à M. Naud, qui fut, pendant
quelques années, juge de paix du
canton de Pouzauges (1).
(1) Extrait analytique d'une
Biographie sans nom d'auteur
(annuaire 1857, pages 187-194).
Mgr HILLEREAU, VICAIRE APOSTOLIQUE
Né le 21 janvier 1796 au milieu des
Landes de Saint-Philbert-de-Bouaine,
Mgr Hillereau se distingua de
bonne heure par son goût très
prononcé pour les humanités et les
mathématiques, qu'il professa à
Luçon avant de recevoir l'ordination
des mains de Mgr Soyer. - Bientôt il
entre dans la Congrégation des
missionnaires du Père Montfort à
Saint-Laurent-sur-Sèvre, se livre
avec succès à la prédication, et en
1832, est chargé par son supérieur,
le Père Deshayes, de porter le
dossier de béatification du Père
Montfort à Rome, où. il se fait
remarquer par ses hautes qualités
morales, intellectuelles et
diplomatiques.
Le 22 mars 1832, un bref du pape
Grégoire XVI l'appelait à l'évêché
de Calédonie avec le titre de
visiteur apostolique de Smyrne, où
il arrivait au mois de décembre
1832. Bientôt nommé coadjuteur de
Mgr Correzzi, vicaire apostolique du
patriarcat de Constantinople, avec
le titre d'archevêque de Petra., il
se montre vaillant, intelligent,
passionné pour les intérêts
matériels et moraux de ses ouailles.
Nommé le 7 mars 1835 titulaire en
remplacement de Mgr Correzzi, le
nouveau chef de l'Église d'Orient se
prodigue pour le bien de son
troupeau. Il relève son église,
envoie des jeunes gens au collège de
la propagande à Rome, ramène les
dissidents, et sur les
établissements qu'il crée à
Scutarie, à Brousse, à Varna, à
Pan-Stéfaur, flotte à côté de la
croix, symbole de la foi, le drapeau
tricolore, emblème de la France. La
peste ayant envahi Constantinople,
Mgr Hillereau donne à tous l'exemple
du courage, du dévouement et de la
charité, faisant l'admiration des
musulmans eux-mêmes. Il recueille
les pauvres, les orphelins, fonde
des écoles, des séminaires, bâtit
des églises, et visite en entier son
immense diocèse qui comprend entre
autres les provinces de Bithynie, de
Phrygie, de Galathée et de
Cappadoce.
En 1843, il revient dans sa chère
Vendée, quêter pour ses églises et
pour les établissements hospitaliers
qu'il fonde sur les points les plus
extrêmes de sa vaste province
ecclésiastique. Au milieu de ce
labeur incessant sa santé avait été
très éprouvée, et le 1er mars 1855,
il était emporté par le choléra,
dont il avait contracté les germes
au chevet des malades. Il fut inhumé
dans la crypte de l'église du
Saint-Esprit, qui trois mois après,
recevait aussi la dépouille mortelle
du R. P. Gloriot, aumônier de
l'armée d'Orient, lui aussi sorti de
la Congrégation de
Saint-Laurent-sur-Sèvre.
RICHER EDOUARD
Richer, Edouard,
naquit à.
Noirmoutier le 12 juin 1792 ;
l'année suivante son père et un de
ses fils étaient tués à la tête de
la garde nationale, en disputant à
Charette la possession de l''île.
Entré à la Flèche en 1801, Edouard
Bicher était admis deux ans après à
Saint-Cyr. Sa nature indocile ne
pouvant se plier à la discipline
militaire, le força à abandonner la
carrière militaire à la suite d'une
visite que lui fit à la prison de
l'école celui qui plus tard devait
être son meilleur ami : François
Piet. - Le commerce auquel il se
livra ensuite ne lui convenant
point, il se consacra dès lors à
l'étude de l'histoire naturelle et
de la littérature, et vint en 1810
s'établir à Nantes, où la Société
académique de la Loire-Inférieure ne
tardait pas à l'admettre dans son
sein (1).
Mais Nantes ne convenant ni à ses
goûts un peu sauvages, ni à sa
nature débile, il se retira bientôt
sur les bords de l'Erdre, puis dans
un véritable ermitage, au milieu
d'une lande déserte afin d'y vivre
seul avec la nature.
Le moment était pourtant venu où
l'âme ardente du jeune Richer allait
s'ouvrir à toutes les tendresses du
cœur. Mais son roman d'amour ne fut
pas long, et il le ferma avant
d'être arrivé à la dernière page.
Quelques poésies composées dans les
premiers jours de sa passion et
ensuite une amère désillusion furent
les seuls fruits de son premier
amour. Un voyage qu'il fit à Provins
chez son beau-frère, le mit en
relations avec plusieurs hommes
distingués de la capitale, l'abbé
Pasques, Letomelier et Lelièvre, de
l'Ecole des mines, Latreille et
Lamark, de l'Institut. Le fruit de
ses méditations qu'il livrait à la
publicité, attira sur lui
l'attention des hommes les plus
éminents, et le comte Daru confia à
son examen le manuscrit entier de
son Histoire de Bretagne
qu'il annota. Mais sa santé ébranlée
le força de revenir dans son île
natale, habiter l'abbaye de la
Blanche.
Le 21 janvier 1834, malgré le
dévouement du docteur Fouré, son
ami, il s'éteignait à Nantes, après
s'être, aux pieds de l'abbé
Fournier, plus tard évêque de
Nantes, réconcilié avec l'Eglise
dont il avait souvent attaqué les
dogmes.
Richer a beaucoup écrit : il a
éparpillé ses connaissances très
variées, son imagination et son
esprit, dans une foule de petits
opuscules qui mériteraient d'être
réunis en corps d'ouvrage.
Citons : Ode sur
l'immortalité de l'âme, brochure
in-8°, Nantes,1821. - De la
philosophie religieuse et morale,
dans ses rapports avec les Lumières,
1822. - Précis de l'histoire de
Bretagne, 1822. - La Vendée,
ouvrage en quatre volumes parus en
livraisons, et qui malheureusement
est resté inachevé. -
Voyayes à Clisson, à
Paimbœuf. - Aspect pittoresque de
Noirmoutier, etc.
Dans le Lycée armoricain, il
a publié un grand nombre d'articles
remarquahles sur J. Rousseau,
Bernardin de Saint-Pierre, etc. ces
morceaux de critique devaient entrer
dans le cadre d'un ouvrage immense
qu'il devait publier sous le titre :
Des erreurs et des progrès de
l'Esprit humain ; mais la mort
ne lui en laissa pas le temps.
Homme simple, loyal et franc, Richer
fut un érudit admirablement bien
doué, tant au point de vue
littéraire qu'au point de vue
scientifique, et s'il eut entrepris
moins de travaux, il eut pris le
premier rang parmi les hommes qui
honorent le Bas-Poitou.
(1) Il y payait sa bienvenue par la
composition d'un Hymne au Soleil,
traduit ou plutôt imité de Thomson.
PIET FRANÇOIS
L'ami de Bicher, Piet, dont
nous avons déjà parlé, n'est point
né à Noirmoutier, mais il s'y est
tellement identifié par son mariage,
par les fonctions publiques qu'il y
a remplies, et surtout par ses
écrits qu'on peut le considérer
comme un compatriote.
Né à Montmédy en 1774, il s'engage
dans le bataillon des Ardennes,
assiste à la bataille de Jemmapes,
s'y distingue, et par les hasards de
la guerre, il est attaché au général
Dutruy, lorsque ce dernier enlève
Noirmoutier aux Vendéens. Le rôle
qu'il joua dans l'interrogatoire de
d'Elbée a été diversement jugé ;
aussi nous nous abstiendrons de
crainte de froisser des
susceptibilités légitimes.
Après Thermidor, il était nominé
commissaire des guerres à
Noirmoutier, s'y mariait et s'y
fixait définitivement. En 1798, il
était élu président de
l'administration municipale, et en
1805 il assistait à Paris comme
président de son canton aux têtes du
couronnement de l'Empereur. Il
demeura notaire de 1808 à 1830,
époque où on lui confia la place de
juge de paix, qu'il occupa jusqu'à
sa mort, arrivée en 1839.
Pendant les années paisibles de sa
carrière civile, Piet a décrit et
célébré sa patrie d'adoption. Sous
le titre : Mémoire à mon fils,
il a composé un volume in 4° de plus
de 600 pages, qui contient sur sa
vie et sur l'histoire, la
topographie, la statistique, la
géologie, la minéralogie, etc., de
Noirmoutier, des documents du plus
haut intérêt. Ce livre curieux, tiré
à seize exemplaires seulement, a été
imprimé à l'aide d'une presse à bras
par l'auteur lui-même.
Il a fait paraître
encore :
Mémoires sur la vie et les ouvrages
d'Edouard Richer. - De l'Etymologie
de l'île d'Yeu. - De la pêche des
huîtres dans la baie de Noirmoutier.
- Des dunes sur les côtes de l'Ouest
et des Moyens de consolider celles
qui ne sont pas encore fixées. - Sur
la formation de la Tourbe des
marais, etc.
CRÉTINEAU-JOLY
Crétineau-Joly,
Jacques,
naquit à Fontenay-le-Comte dans la
rue des Loges, le 23 septembre 1803,
de parents, honnêtes drapiers,
possédant une certaine aisance que
leur trop grande confiance fit
évanouir en des mains déloyales.
Elevé au collège de
Luçon, Jacques était bachelier à 17
ans. Entré au Séminaire de
Saint-Sulpice en 1820, deux ans
après, Mgr de Frayssinous, grand
maître de l'Université de France,
lui confiait la chaire de
philosophie au collège de Fontenay,
mais sa santé ne lui permit pas de
tenir cet emploi. Au mois de juin
1823, Crétineau-Joly accompagnait en
qualité de secrétaire particulier le
duc de Montmorency-Laval, nommé
ambassadeur à Rome, où en 1825 (25
août) le jeune secrétaire, qui
n'était encore qu'abbé, prononça par
permission spéciale du pape, et avec
quelques heures de préparation, un
remarquable panégyrique de saint
Louis. Mais le doute envahissait
cette âme ardente et les
exhortations paternelles de Mgr
Soyer non plus qu'une retraite à la
Trappe ne purent empêcher
Crétineau-Joly de quitter la
soutane. L'année suivante, le 21
août 1830, il épousait à Confolens
Mlle Labrousse. Alors commença pour
notre compatriote une lutte de tous
les instants pour le triomphe de ses
idées politiques. Tour à tour
rédacteur du Véridique, du
Vendéen, de l'Hermine,
Crétineau se montre dans la
direction de ces divers journaux un
royaliste ardent, un homme de
lettres remarquable et un vigoureux
homme d'action. En 1839, il quitte
Nantes pour Paris, où nous le
retrouvons collaborant à la Revue
du XIX siècle, à la Gazette
de France, à
l'Europe monarchique.
Mais si remarquable
que fut Crétineau-Joly, comme
journaliste, sa vocation véritable,
son terrain propre fut l'histoire.
Il débuta en 1838 par l'Histoire
des Généraux Vendéens où il
avait glissé une préface sur l'Ingratitude
des Bourbons et publia ensuite
le Fils d'un pair de France ;
Scènes d'Italie et de Vendée,
etc. Mais ce n'était là qu'un
prélude, et dans l'Histoire de la
Vendée militaire, dont les deux
premiers volumes parurent en 1840 et
les deux autres l'année suivante,
Crétineau-Joly allait se montrer un
historien remarquable, un styliste
étonnant, plein de feu et de clarté.
Surnommé par Mme de La
Rochejaquelein, l'Homère vendéen, le
brillant écrivain, dont les années
n'ont fait que consacrer le
remarquable succès obtenu dès
l'apparition de son œuvre, écrivit
successivement
l'Histoire de la Compagnie de .Jésus
; l'Eglise romaine en face de la
Révolution ; l'Histoire de
Louis-Philippe et de l'Orléanisme ;
les Mémoires du Cardinal Consalvi ;
Histoire des trois derniers princes
de la maison de Condé, etc.
Réconcilié depuis longtemps avec
Bome, il abjura complètement ses
dernières erreurs philosophiques le
11 septembre 1872, entre les mains
d'un Jésuite de ses amis, le R. P.
Thailhau, qui emporta sans peine «
cette place qui ne se défendait plus
guère que par un reste de respect
humain ».
Le 1er janvier 1875, il expirait à
Vincennes entre les bras de ses
enfants, dont deux sont,
croyons-nous, prêtres dans les
environs d'Angers (1).
(1) La Bibliographie des œuvres
de Crétineau-Joly a paru dans Les
Contemporains (N° du 11 février
1894, page 16).
LE GÉNÉRAL COLLINEAU
Collineau,
Edouard-Isaïe,
naquit aux Sables-d'Olonne le 22
novembre 1810, du mariage de
Collineau, Guy-Charles et de
Catherine Macouin. Huitième enfant
des onze fils qu'eurent ses parents,
Edouard-Isaïe était ouvrier
chapelier, quand sa vocation
l'entraîna sous les drapeaux, et à
cinquante ans il était général de
division ! Ce seul mot suffit à son
éloge. - « On le vit, écrivait-on de
Tien-Tsing, où il succombait le 15
janvier 1861, des suites d'une
petite vérole, on le vit
successivement en Afrique qu'il ne
quitta que pour aller en Crimée, en
Italie et en Chine, prendre part à
tous les combats, à tous les
assauts, à tous les faits d'armes ;
- à la. tête du 1er régiment de
zouaves, s'illustrer à jamais au
siège de Malakoff ; puis, sans
prendre ni repos, ni trêve,
retourner en Algérie, se distinguer
à l'expédition de la Grande Kabylie
et en rapporter les étoiles de
général. La campagne d'Italie lui
valut la croix de Commandeur.
Aussitôt revenu à Paris, et à la
première nouvelle qu'on doit
organiser un corps d'armée pour
opérer en Chine, il fait, pour la
première fois auprès du
ministre, une démarche et obtient le
commandement de la 2e brigade du
corps expéditionnaire. A Tchéfou,,
où il commanda en chef les troupes
d'infanterie, on éprouva son talent
d'administrateur ; puis, on le vit
diriger l'enlèvement de Pétang,
reconnaître le 3 août, à la tête de
notre beau 102°, la chaussée qui
conduit à Takon, coopérer le 14 août
à l'enlèvement de ce fort, diriger
deux jours après l'attaque contre
les forts de Peï-Ho, dit du nord, et
s'en rendre maître après une
résistance vigoureuse - toujours au
premier rang jusqu'à la fin de
l'action. Le 21 septembre, avec
trois compagnies, il enlève le pont
Pali-Kia-Ho, défendu par une armée
entière. Ce fut notre dernier combat
: ce dut être sa dernière victoire.
- Outre la bravoure qu'il montrait
au feu et qui enlevait si bien ses
troupes, ce qu'on devait admirer le
plus chez lui, c'étaient ses vastes
connaissances, son calme, sa
sagacité, son sang-froid, et surtout
ce coup d'œil d'aigle qui fait les
grands capitaines ».
Le général Collineau est mort en
véritable héros chrétien. Son corps
embaumé fut transporté de Tien-Tsing
à Pékin, où il repose dans le
cimetière catholique français, à
côté des restes des sept victimes de
l'infâme trahison de Tong-Tchou (1).
(1) Revue de Bretagne et de
Vendée (année 1861), E. G.
CHARLES MERLAND
Charles Merland,
né au
Château-d'Olonne, le 26 juin 1808,
exerça avec succès la médecine à la
Roche-sur-Yon, depuis 1832 jusqu'en
1865, époque où, très fatigué, il
résigna ses fonctions. Entre temps,
il avait touché un peu à la
politique, fondé le premier cercle
ouvert à Bourbon-Vendée, et
collaboré au Patriote. Mais à
partir de 1865, Merland consacra
pour ainsi dire tout son temps aux
études littéraires.
Correspondant ou membre de diverses
sociétés savantes, il collabora
surtout à La Revue de Bretagne et
de Vendée, au Recueil de la
Société d'émulation de la Vendée,
publia de nombreux comptes-rendus,
écrivit diverses brochures,
notamment celles ayant pour titre :
Narcisse Pelletier, Monseigneur
Coupperie, et enfin mettait le
sceau à sa réputation d'érudit en
publiant en 1883, Les Biographies
vendéennes, ouvrage eu cinq
volumes, qui lui avait coûté quinze
ans de recherches et de travail.
Charles Merland est mort le 8
janvier 1884, à Paris, et ses restes
reposent, selon ses désirs, dans
l'humble cimetière du
Château-d'Olonne.
PAUL MARCHEGAY
Paul Marchegay,
surnommé le Plutarque vendéen,
naquit à Lousigny de
Saint-Germain-le-Prinçay, le 10
juillet 1812. Sa famille s'était,
depuis plusieurs générations,
imposée au respect de tous par sa
droiture, sa loyauté, la sincérité
de ses opinions politiques et
religieuses. Son grand-père avait
été tué à Chantonnay, le 15 mars
1793, en combattant les Vendéens, et
son père avait, de 1821 à 1832,
siégé à la Chambre comme député de
l'opposition libérale avec Manuel,
Perreau, Esgonnière et David. Paul
Marchegay avait donc de qui tenir,
et il ne devait pas mentir aux
traditions de sa famille. Après
avoir, à 17 ans, obtenu à Paris, au
Concours général, le second prix
d'histoire, il fit la licence en
droit, entrait à l'École des chartes
en 1835 et en sortait en 1838, avec
le titre d'Archiviste paléographe.
Attaché pendant trois ans à la
section des manuscrits de la
Bibliothèque royale, il était en
1841, nommé aux fonctions
d'Archiviste de Maine-et-Loire qu'il
occupa jusqu'en 1853, après avoir,
dans cet intervalle, lutté
énergiquement et démasqué, malgré de
hautes protections, un faussaire
haut placé, dont la lucrative
spécialité était la fabrication de
titres qu'il introduisait
subrepticement dans les dépôts
publics et à l'aide desquels il
dépouillait ensuite les communes de
leurs biens.
Depuis lors, il vécut dans l'antique
château des Roches-Baritaud, qu'il
aménagea avec goût, et où, pendant
31 ans, il mena une vie des plus
actives, malgré le faible état de sa
santé et une infirmité qui lui
rendait la marche très pénible,
ainsi que tous les exercices
physiques.
Dans cet asile de bénédictin, il put
amasser une collection considérable
de pièces originales et curieuses
sur le Poitou, l'Anjou, la Bretagne
et l'Aunis. Grâce à ses relations
avec le duc de la Trémoille, il put
puiser à pleines mains dans le riche
chartrier de Thouars et donner au
monde savant ces remarquables
monographies où se montre à chaque
ligne le culte profond de la vérité
et l'exactitude.
Dès 1843-1845, l'Académie des
inscriptions et belles-lettres
honorait d'une médaille d'or et d'un
rappel de médaille, Le Recueil de
mémoires et documents inédits sur
l'Anjou, et en 1856-1871, Les
Chroniques des comtes et des églises
d'Anjou.
Puis parurent ensuite le
Cartulaire des Sires de Rays
(1857) et le Cartulaire du
Bas-Poitou, si précieux pour
notre histoire locale.
La Bibliothèque de l'Ecole des
Chartes, le « Bulletin du Comité des
travaux historiques » et de la
«Revue des Sociétés savantes », la «
Revue archéologique », le « Bulletin
de la Société du protestantisme » et
différents Recueils périodiques de
l'Ouest, ont reçu de lui plus d'une
centaine de notices, dont 44 ont été
imprimées à part à 48 exemplaires en
1857, sous le titre de Notices et
Documents historiques et 41 en 1872,
sous celui de Notices et pièces
historiques. Sa dernière publication
« achevée sous le coup d'un mal
subit et cruel » et tirée à 20
exemplaires seulement, est datée de
1884 ; elle renferme 25 nouvelles
notices qui complètent les deux
premiers volumes.
A la fin de 1884, nous étions allé
passer quelques heures auprès du
vénérable maître, qui, pendant de
longues années, nous avait fait
l'honneur de nous recevoir dans une
grande intimité. Nous avions été
frappé des défaillances qu'éprouvait
sa mémoire, mais nous voulions
compter encore sur un retour à la
santé, lorsque vers la fin de
février 1885, nous reçumes, ainsi
que tous ses amis, l'original adieu
:
Agé de 72 ans et demi, paralysé
depuis le 20 décembre 1883, et. ne
faisant que végéter,
M. MARCHEGAY
aspire au repos chrétien, et vous
prie d'agréer ses derniers adieux.
Aux Roches-Baritaud, par Chantonnay
(Vendée)
(18 février 1885)
Il n'était que temps : le 3 juillet
de la même année, Dieu rappelait à
lui ce grand homme de bien, ce noble
caractère ; cet érudit dont les
décisions furent et demeurent
toujours appréciées dans les hautes
régions de la science (1).
(1) Voir pour de plus amples
renseignements, la notice
nécrologique et bibliographique,
consacrée à M. Paul Marchegay. par
M. Eugène Louis, à qui nous avons
fait de nombreux emprunts (Annuaire
1886, pages 194 à 214).
BENJAMIN FILLON
Benjamin Fillon,
écrivain
de talent, savant numismate,
collectionneur émérite et profond
érudit, naquit à Grues le 15 mars
1819, mais il vint très jeune à
Fontenay, où il fit ses humanités.
Reçu licencié en droit en 1837, il
put, sous la direction du fameux
numismate Poey-d'Avant, son ami
avant de devenir son oncle, se
livrer à l'étude des monnaies et des
médailles. Après avoir rempli
pendant quelques années les
fonctions peu absorbantes de juge
suppléant au tribunal de la
Roche-sur-Yon, il donna sa démission
aussitôt le coup d'État du 2
décembre 1851, afin de pouvoir
s'adonner sans trêve ni merci à ses
chères études.
Fontenay-le-Comte, sa patrie
d'adoption, eut la meilleure part de
son ardeur juvénile : elle se vit
réserver aussi les dernières pages
tracées par sa main défaillante.
En 1847, il publiait en effet le
premier volume de ses Recherches
historiques sur Fontenay-le-Comte,
et trente-quatre ans plus tard, il
corrigeait sur son lit de mort les
dernières épreuves du tirage à part
d'un Mémoire sur les
dénominations des rues de Fontenay
donné à lsau mois de
septembre 1881.
A la chute de l'Empire, il fut
appelé à la préfecture de la Vendée,
mais il déclina ce poste de
confiance, et après la mort de sa
femme et cousine Clémentine Fillon,
survenue le 16 juillet 1873, il se
retira dans sa propriété de La
Court, à Saint-Cyr-en-Talmondais.
C'est dans cette demeure restaurée
et aménagée selon ses goûts, au
milieu de ses livres et des
merveilles amassées à grands frais,
qu'il passa les dernières années de
sa vie, partagée entre le travail de
l'esprit, l'administration de sa
commune et les bonnes œuvres, qu'il
s'éteignit le 23 mai 1881.
Cet homme, qui emporta les regrets
du monde savant, qui faisait avec
une grâce charmante les honneurs de
son musée archéologique, dont le
moindre objet avait son histoire,
était en relations d'amitié et de
savoir avec Jules Quicherat,
Riocreux, Chevreul, Anatole de
Barthelemy, de Montaiglon, Michelet,
Louis Blanc, Marchegay, de
Rochebrune, les abbés Auber (1), du
Tressay (2), Mourain de Sourdeval
(2), et Baudry (4), Jousseaume,
Gabriel de Fontaines, Bitton, son
plus fidèle collaborateur, Eugène
Louis et Dugast-Matifeux. C'est chez
ce dernier, à Montaigu, où nous le
vimes vers la fin de l'année 1880,
qu'il fit sa dernière sortie, comme
s'il avait eu le pressentiment de sa
fin prochaine.

Château de la Court d'Aron, où est
mort B. Fillon
Correspondant du Comité des travaux
historiques, membre de la Société
des Antiquaires de France, il a
publié une série d'articles
remarquables dans la Revue des
provinces de l'Ouest, les Mémoires
de la Société des Antiquaires de
l'Ouest, la Gazette des Beaux-Arts
la Revue Numismatique, l'Indicateur,
etc.
Guidé par un pieux sentiment, son
beau-frère et ami, M.
Charier-Fillon, mort en 1900, maire
de Fontenay, a publié en 1895 la
Bibliographie chronologique des
ouvrages de Fillon (1838-1881).
Cette bibliographie, éditée par
Clouzot, comprend l'indication
détaillée de 439 notices, lettres,
brochures, plaquettes, thèses,
livres. Parmi ces ouvrages,
mentionnons : l'Art de terre chez
les Poitevin, - Documents pour
servir à l'histoire du Bas-Poitou et
de la Révolution en Vendée -
Considérations historiques et
artistiques sur les monnaies de
France - Les faïences d'Oiron et
les remarquables études historiques
intitulées Poitou et Vendée,
entreprises en collaboration avec M.
Octave de Rochebrune et
malheureusement inachevées.
Les cendres de cet homme
remarquablement doué, qui avait pris
pour devise : Travail est honneur
; de ce savant fontenaisien,
digne émule des Tiraqueau, des
Besly, des Viète, reposent au
cimetière Saint-Jean de Fontenay,
dans le caveau de famille où est
venu le rejoindre, il y a deux ans,
son beau-frère et ami Arsène
Charier.
A cette courte notice, pour laquelle
nous nous sommes servi surtout du
remarquable article publié par M.
Louis, sur Fillon, dans l'Annuaire
de 1881, nous n'ajouterons qu'un
mot:
On pouvait craindre qu'après la mort
de l'homme de goût qui avait fait de
la Court une demeure d'artiste, ce
beau domaine tombât entre des mains
indignes de le posséder. Il n'en a
rien été heureusement, et le
propriétaire actuel, M. Raoul de
Rochebrune, fils du grand artiste, a
religieusement conservé et embelli
encore tout ce qui pouvait conserver
la mémoire de celui qui, pendant de
longues années, fut un familier de
Terre-Neuve.
(1) Auber, chanoine de Poitiers,
auteur de plusieurs ouvrages,
notamment d'une Histoire du Poitou
en neuf volumes.
(2) Du Tressay, ecclésiastique de
grand talent et de beaucoup de
mérite, a écrit notamment une
Histoire fort appréciée des moines
et des évêques de Luçon.
(3) Mourain de Sourdeval, mort à
Saint-Gervais il y a quelque vingt
ans, s'est signalé aussi par de
savantes publications sur le
Bas-Poitou, la baronnie de la
Garnache et Beauvoir, sur Mlle de
Lézardière et une édition annotée
des œuvres de Rivaudeau (Aman).
(4) L'abbé Baudry, ancien curé du
Bernard, né à
Saint-Philbert-du-Pont-Charrault
vers 1822. Antiquaire de grand
mérite, inventeur des fameux puits
funéraires du Bernard, et auteur de
remarquables rapports parus dans
diverses publications, notamment
dans l'Annuaire de la Société
d'émulation de la Vendée. - Les
objets recueillis par l'infatigable
antiquaire dans les nombreuses
fouilles entreprises sur plusieurs
points de la Vendée, surtout à
Troussepoil, ornent aujourd'hui
plusieurs des vitrines du musée de
la Roche-sur-Yon.
D'autres précieux souvenirs de
l'érudit ecclésiastique mort le 24
juillet, 1880, sont religieusement
conservés par sa nièce et son neveu,
M.Casimir Puichaud, bien connu dans
le monde des lettres par ses
savantes publications.
Pour l'abbé Baudry, voir Grande
Éncyclopédie, t. f., Semaine
catholique (1eravril 1888) et
Publicateur de la Vendée (28 juillet
1880).
PAUL BAUDRY
Un des enfants dont la Vendée est le
plus fière à bon droit est Paul
Baudry, né à la Roche-sur-Yon en
1828, d'un modeste sabotier, et qui
fut le meilleur des fils, le plus
dévoué des frères, le plus
reconnaissant des élèves. Les
dispositions très grandes que, tout
jeune il avait, sous la direction de
M. Sartoris, montré pour le dessin,
attirérent sur lui l'attention des
représentants du Conseil général de
la Vendée qui, en 1845, lui
allouèrent une subvention de 600
francs avec laquelle il put, en se
privant souvent des choses les plus
utiles à la vie, poursuivre à
l'Ecole des Beaux-Arts, dans le
recueillement, ces fortes études
qui, en 1852, lui permettaient, 1er
grand prix de Rome avec Bouguereau,
d'entrer à la villa Médicis. Au
Salon de 1857, il remportait
d'emblée une première médaille :
Baudry y avait exposé la Fortune
et l'Enfant que l'on voit au
musée du Louvre, et le Supplice
d'une vestale qui orne
aujourd'hui le musée de Lille. Il y
avait encore un charmant petit
saint Jean et une délicieuse
petite toile que la lithographie a
popularisée Leda, et le
célèbre portrait de M. Beule.
Le Supplice d'une
vestale
était son envoi de Rome de cinquième
année ; la Fortune, expédiée
à son ami l'éminent statuaire
Guitton en vue de l'Exposition
de 1855, était celui de troisième.
An Salon de 1859, Baudry envoya la
Madeleine qui est au musée de
Nantes ; la Toilette de Vénus
actuellement au musée de Bordeaux,
puis les portraits de Mme de la
Bédoyère, de M. Jard-Panvilliers,
une de ses œuvres maîtresses, etc.,
une étude intitulée Guillemette,
qui eut l'honneur d'être rapprochée
par la critique de la célèbre petite
Infante de Vélasquez. En 1861,
paraît Charlotte Corday, la toile si
dramatique du musée de Nantes, puis
plusieurs portraits, ceux de Guizot,
du baron Dupin, de Madeleine Brohan,
que sais-je encore, qui le classent
au premier rang des portraitistes
français.
Enfin, en 1863, il remporte une
victoire définitive avec la Perle
et la Vague, et en 1865 expose
Diane et le portrait de son
frère l'architecte, Ambroise-Thomas,
qui est un chef-d'œuvre et une
merveille.
Après ce Salon de 1865, Baudry
disparut des expositions annuelles
pour se consacrer tout entier à la
conception et à la préparation de
son grand travail de l'Opéra, qui
devait mettre le sceau à sa
renommée. Pour cela il parcourt les
musées de Rome, de Londres, de
Madrid, de Florence, copie les
cartons de Raphaël, de Velasquez, et
comme pour faire trêve à ces
préoccupations multiples, il envoie
au Salon, en 1869, le portrait de
son intime ami Garnier, l'architecte
de l'Opéra; en 1872, celui de son
frère Ambroise et d'About.
Enfin, en 1874, sonne l'heure du
triomphe : « Les peintures de
l'Opéra achevées furent exposées à
l'Ecole des Beaux-Arts, et il n'y
eut qu'un cri d'admiration devant
cet ensemble décoratif, le plus
considérable qui ait été peint en ce
siècle. » « Il n'y eut, dit un de
ses biographes, M. Bonnin, qu'une
voix pour proclamer Maître notre
illustre compatriote. »
« Une fois son opéra mis en place il
reparut aux Salons, où de nouveaux
succès l'attendaient. En 1880, la
Glorification de la loi, le
grand plafond de la Cour de
Cassation lui mérita la seule
distinction que son art put encore
lui donner : la Médaille d'honneur
décernée par le suffrage de ses
pairs. En 1882, il exposa pour la
dernière fois une petite toile,
La Vérité, puis peignit encore
St-Hubert pour le château de
Chantilly, où sont venus les
panneaux de l'hôtel Fould et deux
plafonds inspirés par la fable de
Psyché. »
Là se termine l'œuvre de celui
qu'une mort presque foudroyante
enlevait au monde des arts et à
l'affection des siens le 17 janvier
1886 ; et dont M. Eugène Louis à pu
dire : « Le nom de Paul Baudry est
un de ceux dont on ne saurait trop
souvent rappeler le souvenir à nos
concitoyens, car il a été
l'incarnation vivante du travail
couronné et sanctifié par la gloire.
»
Le 28 avril 1890, un monument
commémoratif était inauguré dans le
vestibule du musée de la
Roche-sur-Yon, à la mémoire du grand
peintre. Puis au mois d'avril 1896,
lors d'un voyage fait en Vendée, M.
Félix Faure, président de la
République française, inaugurait une
statue en bronze du grand peintre,
due au ciseau de son ami Gérome, et
dont les frais ont été couverts par
des souscriptions particulières, des
dons de l'Etat, du département, des
communes et de la famille (1).
(1) Voir pour Paul Baudry, Paul
Baudry, par Bonnin. Extrait de la
Revue du Bas-Poitou. - Plaquette
in-8° de 20 pages. - Paul Baudry et
le monument du Pére-Lachaize {où est
inhumé le grand artiste, Eugène
Louis (Annuaire 1891, pages 222,
229)}.
GASTON GUITTON
A côté de Paul Baudry, il convient
de placer son ami et compatriote le
sculpteur Guitton, né à
Bourbon-Vendée le 25 février 1825.
Après avoir étudié à Nantes dans
l'atelier de Ménard, l'auteur du
Forban, il entra chez Rude, et
en 1850 exposait au Salon un groupe
en plâtre Saint Louis consolant
un blessé. Bientôt il part
rejoindre son ami Baudry dans la
Ville Eternelle, où son talent se
fortifie et se développe. De retour
à Paris, il envoie au Salon de 1853,
un buste en marbre Portrait
d'enfant, puis successivement :
Au printemps, L'attente,
statue de femme d'une grande valeur
artistique, - Hypathée, le
buste en marbre avec bras de Mme de
Fontenay, qui, pendant long temps,
fut pour Guitton un autre Egérie, -
Saint Pierre, placé au-dessus
de la porte de la sacristie des
mariages (église Saint-Sulpice),
l'Amour de Circé. - le Marchand
d'amour, le huste d'Alfred de Vigny,
etc. En 1875, il expose le
modèle en plâtre de son Eve
tentée par le Serpent, qui
devait soulever de si violentes
polémiques dans le monde des arts.
A partir de 1877, Guitton, accablé
par la maladie, des revers de
fortune et des déceptions de toutes
sortes, commence à se ralentir, pour
s'adonner avec passion aux lettres,
car il était un connaisseur de
livres rares et curieux, dont il
avait réuni une magnifique
collection.
Néanmoins, quand il
venait demander au pays natal le
repos et l'air vivifiant des champs,
Guitton reprenait l'ébauche pour
fixer les traits des siens : Mme
Ch. Renaud, sa sœur, de M. et
Mme H. Renaud, ses neveu et nièce,
de Mlle Marie Renaud, son
autre nièce, de ses amis
Eugène Moreau,
Charles Merland, etc.
Deux statues en plâtre de Guitton :
La Couverture et La Marbrerie,
s'élèvent dans la galerie de
l'avant-foyer du nouvel Opéra, et
sur la façade principale de l'Hôtel
de ville de Paris se trouve la
statue de E. Pasquier, commandée en
1880 à Guitton et à qui elle fut
payée 4.000 francs. Guitton est mort
à Paris à l'âge de 66 ans, n'étant
plus que l'ombre de lui-même, et
inhumé selon ses désirs le 24
juillet 1891 dans le cimetière de sa
ville natale.
« Combien il est regrettable,
écrivait le lendemain M. Emile
Grimaud dans l'Espérance du
Peuple, que les circonstances
n'aient pas mieux favorisé cette
vigoureuse nature d'artiste ! Moins
heureux que Paul Baudry, G Guitton
n'a pas vu le vent souffler dans ses
voiles, et pour parler comme le
cardinal de Retz, il est, hélas de
ceux qui n'ont pas rempli toute leur
destinée. Quoi qu'il en soit, son
œuvre est assez remarquable pour
faire vivre son nom, et la Vendée
peut être fière de le compter au
nombre de ses enfants. » (1)
(1) Pour la biographie de Guitton,
voir la plaquette in-8° de 24 pages
de M. Eug. Louis, dont, nous nous
sommes servi pour la rédaction de
cet article. - Gaston Guitton, la
Roche-sur-Yon, Typographie Paul
Trernblay, 1891.
BEAUSSIRE EMILE
Beaussire Émile,
ancien membre de l'Institut, naquit
à Luçon le 21 mai 1824, et après de
brillantes études entrait avec le n°
2 à l'Ecole normale supérieure, dont
il sortait pour occuper bientôt la
chaire de philosophie au lycée de
Lille (1847). Reçu au concours
d'agrégation de 1848, en même temps
que Caro et Renan, docteur
ès-lettres en 1855 avec une thèse
remarquable sur le Fondement de
l'obligation morale, il était en
1856 nommé professeur de littérature
étrangère à la Faculté des lettres
de Poitiers.
Dix ans plus tard, il revenait
professeur de philosophie au lycée
Charlemagne à Paris, et c'est là que
la Commune le prit pour un de ses
otages.
Quelques mois après, il entrait dans
la politique en qualité de député
républicain libéral de la deuxième
circonscription de Fontenay-le-Comte
et s'associait en cette qualité à
toutes les mesures proposées par
Thiers, qu'il soutint presque
constamment de ses votes. On lui
doit notamment un projet de loi sur
les retraites universitaires qu'il
déposa au cours de la législature de
1876. Battu aux élections d'octobre
1877, il rentra à la Chambre en
février 1879, pour, quelques mois
après, aller s'asseoir sous la
coupole de l'Institut (1880).
Mais bientôt dégouté de la
politique, il refusa de se présenter
aux élections du 21 août 1881, pour
se consacrer exclusivement aux
études philosophiques (1) qui furent
la joie de toute sa vie, et
auxquelles se livrait avec passion
cet honnête homme, ce libéral,
érudit et bon, qui, le 8 mai 1889
était à Paris frappé brutalement, et
emporté en quelques jours dans toute
la force de l'âge et de
l'intelligence.
Selon ses désirs, ses restes mortels
reposent dans le cimetière de sa
ville natale, qui s'est honorée en
donnant le nom de ce glorieux fils à
l'une de ses principales avenues.
(1) En dehors des œuvres de longue
baleine, de remarquables rapports à
l'Académie des sciences morales
et politiques, Emile Beaussire,
qui fut en 1871 l'un des fondateurs
de l'Ecole des sciences politiques,
a collaboré au Temps, à la
Revue des Deux Mondes, à la
Revue des Cours littéraires, etc.
LOUIS DE LA BOUTETIÈRE
Louis de la
Boutetière
naquit à Angers, le 5 janvier 1829.
Entré dans l'armée en 1846, il donna
sa démission d'officier en 1860 à la
veille de son mariage avec Mlle de
Lépineraie, et aussitôt commença
pour lui cette vie d'étude et de
recherches qui, dès 1868, attirait
sur lui l'attention du monde savant
par la publication d'un mémoire
remarquable sur le rôle joué par
Sapinaud et les Chefs Vendéens du
Centre.
Bientôt la guerre de 1870 éclate, et
à l'appel de la France en détresse,
de la Boutetière reprend son épée et
part à la tête du troisième
bataillon des mobiles de la Vendée.
Frappé de deux balles à Champigny le
29 novembre, il est fait prisonnier.
A peine rentré dans ses foyers, il
reprend la plume et collabore aux
Archives historiques du Poitou,
à la Société d'émulation de la
Vendée, à celle des
Antiquaires de l'Ouest, etc.
Toutes les productions de ce
vaillant soldat décoré à la suite
des blessures reçues à Champigny,
révèlent en lui un caractère droit,
un passionné de la vérité
historique, un écrivain de talent.
Dans les
Cartulaires de l'abbaye de
Sainte-Croix de Talmont et de
Saint-Jean d'Orbestier,
il a fait preuve d'une érudition
remarquable, et dans les quelques
semaines que chaque année il passait
dans sa délicieuse et vieille
gentilhommière des bords du Lay,
près
Saint-Philbert-du-Pont-Charrault,
c'était plaisir de le voir étaler
sur sa table de travail les vieux
parchemins et les poudreux registres
dont plusieurs lui étaient souvent
et fort aimablement communiqués par
son voisin M. Paul Marchegay.
Le 26 décembre 1881, il s'éteignait
à Paris des suites d'une pleurésie
aggravée par les complications
résultants des glorieuses blessures
reçues pendant l'année terrible, et
ses restes mortels transportés dans
la chapelle du château de Faymoreau
(Vendée), où ils reposent
maintenant.
DUGAST-MATIFEUX
Dugast-Matifeux,
né à Montaigu le 12 octobre 1812,
étudia d'abord la médecine, puis le
droit. Arrêté à la suite de
l'insurrection républicaine de 1832,
il subit trois mois de prison
préventive. - Il collabora ensuite à
l'Histoire parlementaire de la
Révolution française, et en
1833, publiait un Essai sur
le fameux évêque constitutionnel et
régicide Grégoire. - Le coup d'État
de 1851 lui valut une nouvelle
arrestation et des perquisitions qui
n'aboutirent pas. - Depuis ce moment
jusqu'à sa mort, arrivée le 15 avril
1894, il a collaboré à un grand
nombre de Revues et de Journaux.
La Biographie Bretonne, - La Revue
des Provinces de l'Ouest, -
l'Annuaire de la Société d'Émulation
de la Vendée, - Les Échos du Bocaye,
- Le Phare de la Loire, - Le Libéral
de la Vendée, - l'Indicateur de
Fontenay, etc. Ses ouvrages et
opuscules les plus connus et les
plus intéressants sont
Etat du Poitou sous
Louis XIV, - Nantes ancien et le
Pays Nantais - Carrier à Nantes -
Robespierre et Jullien.
Longtemps collaborateur de Benjamin
Fillon, Dugast-Matifeux possédait
une précieuse bibliothèque et une
remarquable collection d'autographes
et de manuscrits historiques, ayant
surtout trait aux guerres de Vendée,
et qui ont été utilisés par Chassin
pour son grand ouvrage sur les
événements dont notre pays fut le
théâtre au XVIIIe siècle.
La bibliothèque et les collections
d'autographes de Dugast-Matifeux ont
été par lui léguées à la ville de
Nantes, et constituent l'une des
sources les plus importantes de la
Révolution dans l'Ouest de la
France.
DE VILLEBOIS-MAREUIL
Georges de
Villebois-Mareuil,
le chevaleresque officier français,
qui, par dévouement aux idées de
justice et de droit, était allé
prendre du service dans l'année des
Boërs, naquit en 1847, à Nantes, au
n° 17 de la rue du Lycée, mais toute
son enfance s'écoula au château de
Bois-Corbeau, commune de
Saint-Hilaire-de-Loulay, près
Montaigu.
Après de brillantes études chez les
Jésuites de Poitiers et chez les
Carmes, il entre à 17 ans à l'école
de Saint-Cyr, s'y distingue par son
intelligence et ses aptitudes, et de
là passe par l'école de gymnastique
de Joinville-le-Pont, d'où il sort
avec le n° 1... Sous-lieutenant au
4e régiment d'infanterie de marine,
il va servir en Cochinchine, sous
les ordres de son oncle l'amiral de
Cornulier.
La guerre de 1870 éclate : de
Villebois-Mareuil demande et obtient
de rentrer en France à ses frais. Il
se rend à Bordeaux, où Gambetta lui
confie le commandement d'une
compagnie à la tête de laquelle il
se couvrira de gloire à Blois. Le 28
janvier 1871, sous le feu meurtrier
des Allemands, il s'élance seul
à l'assaut d'une barricade située
dans le faubourg de Vienne.
Grièvement blessé, il se fait porter
par un sous-officier et un clairon,
et avec leur aide, il s'avance sur
la route. « Tué pour tué,
s'écrie-t-il, en avant, à la
baïonnette ». Et ses jeunes
chasseurs, dont la plupart n'avaient
jamais vu le feu, électrisés par son
exemple, s'élancent sur la barricade
et l'enlèvent. Le soir, de
Villebois-Mareuil, porté mourant à
l'hôpital, recevait des mains du
général Pourcet, la croix d'honneur
et avis de sa nomination au grade de
capitaine. Il avait alors 23 ans. -
Quelques semaines après, il rejoint
son bataillon à Aix, contribue à la
défaite de la Commune à Marseille
et, à la tête d'une compagnie, il
enlève la Préfecture.
C'est à Marseille qu'il se maria
avec Mlle Estrangin, de laquelle il
eut une fille, Mlle Simonne de
Villebois-Mareuil, aujourd'hui
baronne d'Yzernay.
Il tient ensuite garnison à Gap, à
Sisteron et en Corse. Dans cette
île, il se fait recevoir licencié
ès-lettres et licencié en droit, et
peu de temps après, entre à l'école
de Guerre, d'où il sort dans les
premiers numéros.
Breveté, il commande une batterie à
la Fère, devient en Tunisie chef
d'état-major du général Vincendon,
s'illustre au combat de Sekelt et
rentre en France comme chef de
bataillon. Chef d'état-major du 19e
corps d'armée, il est, à 45 ans,
nommé colonel, et commande en cette
qualité le 130e il Paris, le 67e à
Soissons et le 1er régiment étranger
à Sidi-Bel-Abbès. Un avenir
magnifique s'ouvrait donc devant
lui, quand, à la fin de 1896, il
démissionna pour des motifs plus ou
moins connus.
Ecrivain remarquable,
le colonel de Villebois-Mareuil
continua à s'intéresser à tout ce
qui pouvait contribuer à grandir
l'armée, et en dehors de nombreux
écrits politiques et militaires, il
consacra tous ses instants à la
constitution de l'Union
des sociétés régimentaires.
Entre temps, il
publiait uans le Correspondant
et la Revue des deux Mondes
des articles non signés qui portent
la marque d'une claire intelligence
et d'une solide érudition :
Le général
Boulanger, l'Armée russe et ses
chefs, le maréchal de Moltke. etc.
Après avoir fondé la revue
anti-dreyfusiste l'Action et
pris nettement position dans le
parti nationaliste, de
Villebois-Mareuil, qui avait été bon
pour ses soldats qui l'admiraient,
pour ses collègues, un ami sûr et
dévoué (1), qui, sans s'inquiéter
des représailles possibles avait,
devant le Conseil de guerre, défendu
énergiquement le colonel Herbinger,
accusé par le général de Négrier, se
sentit attiré vers cette Afrique
australe, où un petit peuple de
laboureurs luttait héroïquement
contre l'Angleterre pour conserver
son autonomie.
Dès la première heure de cette lutte
homérique, de Villebois-Mareuil, en
vrai fils des soldats de Bouvines,
avait résolu de porter aux Boërs le
secours de ses conseils et de son
épée. Le 25 octobre 1899, il laisse
les siens qu'il ne devait plus
revoir, et s'embarque à Marseille
sur e Peïho, qui le dépose à
Diégo-Suarez, Dans ce port il prend
place sur la Gironde, qui
atteint Loureuzo-Marquez une heure
avant le croiseur anglais qui lui
donnait la chasse. Bientôt il est au
Transvaal et là, avec Léon,
représentant du Creusot, un des
directeurs effectifs de l'artillerie
et du génie, et quelques français,
il se compose un personnel de noirs
avec lesquels il exécute, afin de
connaître parfaitement le territoire
des Républiques sœurs, ces
incursions rapides, hardies, ces
raids quasi fantastiques.
Dans le premier jour de décembre
1899 il se trouve devant Ladismith
avec Joubert qui, malheureusement,
ne tient pas suffisamment compte de
ses conseils. Puis on discute ses
opinions : on les suit à Colenso le
15 décembre, et bientôt les Anglais
sont en pleine déroule. Le 6 janvier
1900, Joubert ordonne l'assaut de
Ladismith, mais là encore, suivant
l'énergique expression du colonel, «
les Boërs massacrèrent son plan
». Quelques jours après il est à
Waterworks, devant laquelle du Toit
s'immobilise comme Joubert devant
Ladismith. Enfin sur les instances
pressantes du colonel français on
décide l'attaque pour le 4 février;
mais des bruits répandus par les
Anglais jettent le désordre parmi
les Boërs qui refusent de marcher.
Le 12 février il demande 50 hommes à
du Toit pour prendre Kimberley et
s'emparer de la cité de Cécil
Rhodes. Le 16 février Kimberley est
débloqué. De là, il file sur
Colesberg et Blœmfontein, assiégé
par le généralissime anglais. De
Blœmfontein il se rend à Petrusburg
et à Paaderberg, où il rencontre
Kronje acculé par lord Roberts, qui
le 27 février, le force à capituler.
Pendant ces quelques jours, de
Villebois sauve divers commandos. Le
10 mars il prend part au combat
d'Abrahamskraal. Le 13 il est au
pont de la Modder-River; le 17 il
est à Kroonstad, et le 20 le
président Kruger, qui connaît la
valeur de Villebois, le nomme
général de la légion étrangère. Il
lance à ses hommes une proclamation
vibrante comme un appel de clairon,
et le 24 au soir il quitte Kroonstad
avec cent hommes environ, dont 25
français et une voiture de dynamite.
Le 25 avril au matin, la colonne se
trouvait au sud-est de Boshoff,
occupé par près de 7.000 Anglais. A
une heure et demie du soir un combat
terrible s'engage : il dure jusqu'au
soir, et la position occupée par le
général et sa petite troupe est
écrasée sous les projectiles.
Les Anglais sont en ce moment au
pied de la colline : ils mettent
baïonnette au canon et arrivent sur
le sommet du Kopje. A ce moment
Villebois saisit son revolver et tue
un officier anglais : lui-même est
frappé d'une balle dans le flanc et
tombe raide mort sans prononcer une
parole.
Le lendemain, il était selon son
désir inhumé sur le champ de
bataille, où les ennemis rendirent
hommage à sa valeur. Comme les
étendards autrichiens s'étaient
inclinés sur le cercueil de Marceau,
les drapeaux anglais s'abaissèrent
devant la tombe de Villebois, au
bord de laquelle le comte de Bréda,
son officier d'ordonnance, récita
quelques prières.
Telle fut, à 53 ans, la fin
admirable de ce héros digne des
temps antiques, et ce fait d'armes
de Boshoff, ou moins de cent hommes,
sans aucun canon, résistèrent
pendant plus de quatre heures à plus
de deux mille, appuyés par de
l'artillerie, est certainement un
des plus beaux dont l'histoire fasse
mention.
La Vendée tout entière, fière à, bon
droit de son glorieux fils, a voulu
consacrer par l'airain le souvenir
de celui qui, en allant combattre
les Anglais au Transvaal, s'était
souvenu sans doute que deux de ses
aïeux s'étaient distingués contre
les mêmes ennemis à la bataille de
Bouvines (2). Avec le produit d'une
souscription publique et d'une
subvention allouée par le Conseil
général, on a érigé une statue au
vaillant officier qui versa son sang
en défendant la cause généreuse d'un
petit peuple luttant pour son
indépendance. Au seuil du château
familial, à l'entrée de la jolie
petite ville de Montaigu, au
rond-point de l'avenue de la gare,
le préfet de la Vendée a, le 24 août
1902, en présence des autorités, de
MM. Pierson, ancien consul général
du Transvaal à Paris, du comte de
Bréda, officier d'ordonnance de
Villebois, aux côtés duquel il se
trouvait à Boshoff, et d'une foule
immense, inauguré la statue du
héros, œuvre de son compatriote, le
sculpteur Yonnais Guéniot. Sur un
piédestal en granit, de Villebois
est représenté en tenue de campagne,
la tête fièrement dressée, l'épée
haute, dans un geste entraînant de
commandement : tel il devait être au
soir, glorieux de Boshoff.
Et maintenant, avec M. Bourgeois, le
député poète.
« Du héros ; saluons la sublime
épopée !
Par la foi, par la plume ainsi que
par l'épée.
Dans nos temps ternes il brilla...
Si dans nos cœurs blessés, grondent
encore des haines
Bleus
et Blancs,
faisons trêve aux querelles
lointaines,
Près de ce Français, halte-là !
(1) Lorsqu'il était capitaine de
chasseurs à pied, il sauva un
camarade sans fortune qui avait.
puisé dans la caisse et remboursa
généreusement les 3.000 flancs que
le malheureux avait détournés.
(2) La famille de Villebois-Mareuil
avait été anoblie par
Philippe-Auguste, sur le champ de
bataille de Bouvines (1214).
M. ARSÈNE CHARIER
Né en 1828 à Noirmoutier, dans une
honorable famille de modestes
artisans, M. Charrier était
de la race de ces hommes vaillants
et forts qui, sortis des humbles
rangs du peuple, sont un exemple, en
s'élevant par leur travail et leur
intelligence aux premiers degrés de
l'échelle sociale.
Bercé par les flots de l'Océan qu'il
aimait jusque dans ses colères, il
avait compris tout jeune, que le
premier droit de l'homme est basé
sur le travail, et que, selon sa
belle expression, « tout travailleur
mérite les égards de ceux qui
l'approchent ».
Paris devait attirer et fasciner ce
cerveau supérieurement organisé, et
au contact des Garnier, des
Vaudremer, des Baudry, des Guitton,
ce travailleur manuel « ce frappeur
du métal », comme disaient les
anciens, était devenu très vite un
architecte de grand mérite. Peu de
temps après sa sortie de l'Ecole, il
remportait à la grande Exposition
annuelle des Beaux-Arts, la médaille
d'or pour son projet de construction
d'un hôtel de ville à Fontenay.
Après la consécration de son talent
par le jury du Salon, il fut choisi
comme architecte de cette ville, qui
devint dès lors sa patrie
d'adoption. De cette époque date
cette période de créations qui se
poursuivit pendant dix-sept années,
au cours desquelles il édifia
successivement le collège de
Fontenay, un des plus beaux de
l'Ouest de la France au dire
d'Elisée Reclus, le château de M.
Moller, à Bourneau, dont la richesse
et la variété d'ornementation
rappellent ceux d'Anet et
d'Azay-le-Rideau, - le collège de
Luçon, - les châteaux de Mme Bry à
l'Absie, de M. Bailly du Pont à la
Châtaigneraie, de M. Ernest Brisson
à. Loge-Fougereuse, et tant d'autres
monuments qui tous témoignent de la
variété des conceptions
architectoniques et du grand talent
artistique de leur auteur.

Le château de Bourneau, construit
d'après les plans de M. Charier
Son esprit, largement ouvert à tous
les progrès, s'était formé par une
communion libérale avec tous les
travailleurs et les savants qui
s'honoraient de son amitié : nous
avons nommé Benjamin Fillon, Paul
Marchegay, Charavay, de Montaiglon,
Chassin (1)... Sur les conseils de
Nadailhac et d'Alexandre Bertrand,
dont il était le correspondant (2),
il allait consacrer les dernières
années de son existence à
l'histoire, sous toutes ses faces,
de son pays natal.
Dans une étude fortement documentée,
sur les mégalithes de Noirmoutier,
il nous reporte aux premiers âges de
l'île des vierges celtiques, fort
avant son histoire écrite ; vers des
peuplades mystérieuses, dont
l'origine est incertaine, mais dont
les traits de race relevés par les
squelettes enfouis dans leurs
tombeaux, caractérisent encore en
grande partie les Noirmoutrins de
vieille souche.
Tout frustes et muets qu'ils sont,
sans écriture aucune, ils ont eu
pour l'érudit archéologue un
langage, presque une âme. - On peut
dire que pour lui cette architecture
primitive a été un des feuillets du
grand livre de l'humanité.
Dans son travail sur les
transformations de Noirmoutier, sur
les mouvements du sol, il traite
d'une façon magistrale les
différentes phases géologiques de ce
noyau granitique. Il en montre
l'influence considérable et les
conséquences lointaines pour son île
de prédilection. - Dans « Péril
et Défense », après avoir pris
pour épigraphe cette belle maxime de
son distingué compatriote Piet : «
qu'ils songent que cette terre n'a
été conservée que par des travaux
continuels, et que la moindre
négligence peut la perdre à tout
jamais », il décrit et indique d'une
façon mathématique, avec cartes à
l'appui, les ouvrages protecteurs
qu'il convient d'édifier pour la
préserver contre l'envahissement des
flots.
Au sujet de la question tant
controversée de l'emplacement exact
du Portus Secor, M Charier a
publié un remarquable mémoire «
contributif à l'étude des solutions
cherchées » et c'est faire l'éloge
de l'auteur que de dire que les
grands périodiques français et
l'Académie des Sciences de Berlin,
ont consacré à ces divers ouvrages
des comptes-rendus aussi flatteurs
que justement mérités.
Ajoutons aussi que l'antique
chapelle de saint Filibert, le
patron de son île natale, a trouvé
en lui un historien consciencieux,
en même temps qu'un archéologue
passionné et éclairé pour la
reconstitution d'un passé qui
intéresse son pays.
On peut dire que toute la vie de cet
homme de bien fut consacrée à
l'étude et au travail. Même lorsque
la mort est venue le frapper, il
préparait un projet d'agrandissement
et d'embellissement de l'hôtel de
ville de Fontenay. Cette cité, qui
venait de l'investir pour la
troisième fois des fonctions de
maire, et à laquelle il a prodigué
son concours aussi désintéressé
qu'intelligent, ne lui sera point
ingrate et conservera à sa mémoire
un pieux et fidèle souvenir (3).
(1) M. Chassin, Louis-Charles,
membre de la société des gens de
lettres, mort en juillet 1900, était
né a Coéx (Vendée). Il a laissé sur
les guerres de notre pays, un
ouvrage en onze volumes; dont
certaines parties prêtent à la
critique : niais dans son ensemble
ce travail de bénédictin est
remarquable. La Table analytique
surtout, est claire, nette et facile
à consulter.
(2) Il était également correspondant
du ministère de l'Instruction
publique et des Beaux-Arts.
(3) BIBLIOGRAPHIE DES PRINCIPAUX
OUVRAGES DE M. CHARIER
L'Ile de Noirmoutier : Etude de ses
transformations. Plaquette grand
in-4°de 22 pages, ornée de 7 cartes.
Clouzot, éditeur, 1886.
L'Ile de Noirmoutier : Contribution
à l'étude des mouvements du sol.
Brochure in-8° de 48 pages, ornée de
3 cartes coloriées. Clouzot, 4888.
L'Ile de Noirmoutier : Un dolmen
inédit. Plaquette in-8° de 19 pages,
avec dessins à la plume. Clouzot,
éditeur, 1888.
L'Ile de Noirmoutier : Note sur le
Promontoire Pictonum et le Portus
Secor. Plaquette in-8° de 16 pages,
avec carte coloriée. Clouzot, 4891,
L'Ile de Noirmoutier : Péril et
défense. Un volume in-8° de 185
pages, avec 9 cartes coloriées.
L'Ile de Noirmoutier : La chapelle
de Saint Filibert. Brochure in-8° de
48 pages, ornée de nombreux dessins.
Clouzot, éditeur, 1896.
L'Ile de Noirmoutier : Notes sur
quelques fouilles. Plaquette in-8°
de 22 pages, avec dessins. Clouzot,
éditeur, 1898.
OCTAVE DE ROCHEBRUNE
Né en 1824, dans l'antique capitale
du Bas-Poitou, qu'il aimait d'un
extraordinaire amour filial, qu'il
n'abandonna jamais, et qui se
souviendra de son illustre fils,
M. de Rochebrune, dont la vie
fut si pure et d'une si incomparable
grandeur dans la simplicité, se
sentit, encore enfant, porté vers
les arts, où il devait briller d'un
si vif éclat. C'est en voyant faire
le portrait de son grand'père, et au
contact de M. de Montbail, qu'il eut
d'une façon inconsciente, la
révélation de sa véritable vocation.
Après avoir appris au collège de sa
ville natale les premières notions
du dessin, il fut envoyé à
Saint-Stanislas de Paris, où sous la
direction éclairée d'un professeur
de talent, Jean-Louis Petit, il fit
des progrès si rapides, qu'étant
encore sur les bancs du collège, il
fut admis au Salon, en exposant un
dessin à la mine de plomb
représentant l'abside de N.-D. de
Paris.
L'année suivante, il exposa le même
sujet, mais peint à l'huile, ainsi
que Notre-Dame-la-Grande de
Poitiers, et trois autres dessins.
Au Salon de 1847, il envoya entre
autres choses, une peinture
représentant les ruines de l'abbaye
de Maillezais. - En 1818, il
présenta au Jury deux peintures
représentant la façade du château de
Josselin, le château de Saint-Ouen
et trois dessins, les cathédrales de
Quimper et de Saint-Pol, et le
clocher de Kreisker. Dès ses
premières œuvres, le grand artiste
indique clairement une prédilection
très marquée « pour les précieux
monuments et la symphonie harmonique
des lignes architecturales », mais
ce n'est que dans l'eau-forte qu'il
devait trouver plus tard le mode
d'expression lui permettant d'écrire
magistralement sa pensée.
A partir de 1861, commence cette
série ininterrompue de gravures,
dont la plupart sont, des
chefs-d'œuvre, et qui toutes
marquent le caractère si personnel
du maître. Parmi ces cinq cents
eaux-fortes, dont quelques-unes de
dimensions inusitées, citons :
Chambord, Blois, les cathédrales de
Paris, de Rouen, de Strasbourg,
Notre-Dame de Fontenay, les
Tuileries, la Rochefoucault,
Valençay, le Lude,
Saint-Pierre-de-Caen et le Palais de
Justice de Rouen : un
émerveillement de pierres festonnées
comme une dentelle.
Dans toutes ces planches, il a
montré une science architectonique
tellement étonnante, une hardiesse
de pointe et une sûreté de dessin
tellement incomparables que leur
auteur a été, par un éminent
critique d'art, Charles Blanc,
appelé le Piranési français.
Nulle part dans l'œuvre de M. de
Rochebrune on ne sent l'imitation ;
mais partout le sentiment de
l'exécution et l'allure de la pointe
variant selon le caractère des
planches, dont quelques-unes ont une
réputation européenne. « Se jouant
des difficultés dans les grandes
planches surtout », M. de Rochebrune
a eu l'originalité de ne sacrifier
ni l'exactitude au pittoresque, ni
le pittoresque à la précision : «
avec une exécution vigoureuse et
fière, il est complet dans le
détail, comme un pur architecte, et
trouve en peintre pour l'ensemble,
un effet puissant et d'autant plus
que le cadre est plus élargi. »
« L'œuvre de ce noble enfant de
Fontenay est un héritage de ce temps
que la postérité revendiquera. Elle
conservera soigneusement ces
planches, œuvres d'art émérites et
documents historiques de haute
valeur, qui rediront la splendeur
des vieilles demeures de France
après que les siècles en auront fait
des amas de ruines. »
Mais M. de Rochebrune n'était pas
seulement l'éminent graveur que l'on
se plaisait à admirer. Il était
aussi un fin lettré, un numismate
distingué, un érudit archéologue.
Tout le monde connaît les exquises
monographies et les remarquables
descriptions qu'il a publiées dans
Poitou-Vendée, en
collaboration avec Benjamin Fillon,
- dans les Mémoires de la Société
des Antiquaires de l'Ouest, -
dans les Revues de Bretagne et du
Bas-Poitou et ailleurs.
Dans la vieille demeure de Nicolas
Rapin, à laquelle il s'efforça de
restituer son aspect primitif, il
rassembla les monnaies et les armes
rares, les meubles et les tentures
précieuses, les objets d'art et les
curiosités artistiques, qui en
firent longtemps un véritable musée,
visité chaque année par de nombreux
touristes français et étrangers.
M. de Rochebrune était par-dessus
tout un homme supérieur par la
loyauté du caractère, la courtoisie
et la sûreté des relations, auprès
duquel les travailleurs de tous
ordres trouvaient bon accueil et bon
conseil. - Il avait une nature
d'élite, inaccessible à la haine,
dédaigneuse de la vengeance, fermée
à l'envie : cette basse et vile
passion des médiocres. Il ignorait
les calculs intéressés, les
intrigues, les manœuvres tortueuses
; il suivait à la grande lumière du
jour, le large chemin de l'honneur,
de la probité, du travail et du
bien.
M. O. de Rochebrune, après une
longue et cruelle maladie, est mort
le 17 juillet 1900, le burin à la
main, sa tâche accomplie. Huit jours
à peine avant de dire aux siens
l'éternel adieu, il travaillait
encore à une planche destinée à
orner un de nos ouvrages. Cette
planche ayant pour titre : Ruines
de l'abbaye de Maillezais est
malheureusement demeurée inachevée.
- Elle porte le n° 492 du catalogue
que M. Henri Clouzot a consacré à
l'œuvre du grand artiste qui nous
honorait depuis de longues années
d'une affection toute particulière,
et à qui nous adressons en terminant
cet ouvrage, qu'il voulut bien orner
d'un superbe frontispice, un
souvenir particulièrement ému et
reconnaissant. (1)
(1) Pour de plus amples
renseignements sur l'œuvre de M. de
Rochebrune, consulter notamment
l'intéressante brocéure publiêe par
M. Vallette. - Niort, L. Clouzot, et
l'article paru sous la signature A.
Bonnin, dans la 3e année de la Revue
du Bas-Poitou, travaux auxquels nous
avons fait de nombreux emprunts pour
la rédaction des quelques lignes
consacrées par nous au grand
artiste. |