Le désastre des
royalistes à Cholet
s'achevait par la
perte du seul chef
qui fut capable d'y
remédier. La mort de
Bonchamps complétait
la victoire des
républicains. Ils ne
s'y trompèrent point
: aussi le
représentant du
peuple à l'armée de
l'Ouest put-il
écrire à la
Convention. « La
mort de Bonchamps
vaut une victoire
pour nous ».
Néanmoins grâce à
des prodiges de
courage et
d'abnégation, plus
de cent mille
fugitifs dont la
moitié à peine en
état de porter les
armes, se disputant
quelques misérables
barques (1), avaient
pu franchir la Loire
où chose incroyable
un seul homme trouva
la mort.
Les trente deux
canons dont
disposait encore
l'armée royale, les
caissons, les
bagages, tout le
matériel enfin
traversèrent le
fleuve à Varades ou
s'étaient portés de
La Rochejaquelein,
le prince de
Talrnont,
d'Autichamps et le
chevalier de Turpin
dont le dévouement
fut admirable, et
l'armée put se
reposer deux jours
avant de s'acheminer
vers la Bretagne. -
On conçoit la rage
de Westermann et de
Merlin lorsqu'en
arrivant le 19 à
Saint-Florent, ils
aperçurent les
Vendéens sur la rive
droite et pas un
bateau pour aller
écraser cette proie
qui leur échappait.

Colonne
commémorative élevée
à l'endroit ou
l'armée vendéenne
franchit la Loire
près
Saint-F'lorent-le-Viel.
Mais la Grande
Armée n'avait
plus de chefs.
Bonchamps venait de
mourir, Lescure
atteint d'un coup de
feu à la Trernblaye,
était mourant, et
d'Elbée, blessé
grièvement à Cholet,
avait été conduit à
Noirmoutier, sous la
protection de
Charette. Réunis
autour du lit de
Lescure, les chefs
de division
choisirent tous pour
généralissime un
jeune homme de vingt
et un ans, un héros,
une de ces nobles et
chevaleresques
figures qui honorent
un parti, Henri de
La Rochejaquelein.

Henri de la
Rochejaquelein
« Conduite par un
tel chef, la
Grande Armée ne
pouvait qu'aller en
avant. Les cinquante
mille hommes qui la,
composaient encore
jetèrent un dernier
regard sur la rive
maternelle (dulcis
moriens reminiscitur
Argos) » et prirent
avec résolution la
route de Laval,
contrairement à
l'avis de Lescure,
qui désirait qu'on
marchat sur Nantes,
dont la garnison
était entrée dans la
Vendée, et qui
donnait un moyen
facile de combiner
les opérations avec
le corps de Charette
sur les derrières
des républicains.
Mais avant de les
suivre dans cette
voie, nous devons
reporter les yeux en
arrière.
(1) Vingt mauvais
bateaux, dit
Chateaubriand,
servirent à
transporter sur
l'autre rive de la
Loire la fortune de
la monarchie.
NOIRMOUTIER OCCUPÉ
PAR CHARETTE (11-12
OCTOBRE 1793). -
MORT ADMIRABLE DU
JEUNE RICHER. - LE
DÉPARTEMENT LE
VENGÉ. - HORRIBLES
MASSACRES.- LE
PUITS-DE CLISSON
Des chefs qui
n'étaient point, à
la bataille de
Cholet et qui se
trouvaient isolés
sur la rive gauche,
les uns déposèrent
les armes en
attendant l'occasion
de les reprendre ;
les autres
continuèrent la
guerre de clocher
contre les
détachements républi
cains. Après être
rentré dans Légé et
avoir échoué devant
Saint-Gilles qu'il
abandonna le 10
octobre, Charette,
obstiné dans ses
écarts, occupa avec
plus de gloire que
de profit
Noirrnoutier, cette
petite Hollande
Vendéenne. Il y
entra à marée basse,
dans la nuit du 11
au 12 octobre, par
le passage si
périlleux du Goa. Il
combattit dans l'eau
jusqu'aux genoux, et
tua de sa main sur
la pièce qu'il
pointait le chef
bleu Richer et son
jeune fils. Il
offrit inutilement
la vie à ce dernier
: « Tuez-moi,
s'écria-t-il, je
déteste les rois
comme mon père ! Je
veux mourir comme
lui pour la
République : voilà
dix francs pour ceux
qui seront chargés
de mon exécution.-
Je les prie de bien
m'ajuster (1)
».
Malgré l'énergique
défense du
commandant
républicain Wieland
(2), la ville
capitula. Huit cents
prisonniers enfermés
au château furent
ensuite emmenés à
Bouin, où Pajot,
après leur avoir
fait subir
d'horribles
traitements, en
massacra un grand
nombre. Charette
installa une sorte
de gouvernement à
Noirmoutier, et
envoya Pierre de la
Robrie traiter avec
l'Angleterre. Mais
il apprit alors le
désastre de Cholet
dont il pouvait
s'accuser à si juste
titre. « J'ai
peut-être eu tort !
» dit-il d'une voix
sourde, et il quitta
brusquement
Noirmoutier, qu'il
offrit pour asile à
d'Elbée qu'il avait
rencontré mourant à
Touvois. Charette
regagna son quartier
général deLégé où il
rallia les derniers
champions du
Bas-Poitou : Joly,
Couétus, Savin, La
Cathelinière, Pajot,
Guérin, Prud'homme,
Lecouvreur,
Lucas-Championnière,
etc., et il prouva à
la Convention que la
Vendée n'était rien
moins que soumise.
Merlin (de
Thionville) proposa
alors de nommer
cette terre le
Département vengé,
et de le partager à
de pauvres
sans-culottes à
condition qu'ils en
détruiraient, en six
mois, tous les bois
et toutes les
clôtures (3).
Fayau fut plus
expéditif et mieux
écouté : « Je
pense,
écrivit-il, qu'il
faut envoyer en
Vendée une armée
incendiaire pour
que, pendant un an
au moins, nul ne
puisse trouver de
subsistance sur ce
sol ennemi. »
Cela était trop
radicalement
monstrueux pour ne
pas séduire La
Convention. Elle
approuva la chose et
le Comité de Salut
public se chargea de
l'exécution. Nous
verrons bientôt à
l'œuvre ses colonnes
infernales. Barrère
n'avait-il pas dit à
la tribune : « Il
faut désoler jusqu'à
la patience des
Vendéens ! »
Nous ne dirons pas
les horribles
vengeances
qu'exercèrent sur
les pays de
Tiffauges, de Vallet
et de Clisson, les
vaincus de Torfou,
de Montaigu et de
Saint-Fulgent, non
plus que les actes
de sauvagerie et
d'infamie qui
accompagnèrent
l'ensevelissement de
trois cents vendéens
vivants dans le
puits du château de
Clisson.
Retournons
maintenant sur la
rive droite où la
grande armée avait
reçu deux coups au
moment de se mettre
en marche : 1° - un
bref du pape qui
démasquait l'évêque
d'Agra, et laissait
l'abbé Bernier
maître, absolu dans
le Conseil - bref
apponté à Londres
par le chevalier de
Saint-Hilaire,
continuateur de la
mission de Tinténiac
; 2° la nouvelle de
la mort de
Marie-Antoinette
décapitée le 20
octobre. A cette
nouvelle tous les
Vendéens agenouillés
fondirent en larmes,
et demandèrent grâce
à Dieu pour la
France, tandis que
les Sans-Culottes
dansaient de joie,
comme des cannibales
au milieu des villes
illuminées ».
(1) La ville de
Paris a consacré la
mémoire du jeune
héros patriote, en
donnant son nom à
l'une de ses rues.
(2) Wieland,
prisonnier sur
parole, fut
néanmoins fusillé
par les Bleus, en
meule temps que
d'Elbée, le 9
janvier 179l, lors
de la reprise de
l'île.
(3) La proposition
fut faite dans la
séance du 7 novembre
1793, et le 15 du
même mois, la
commune de
Fontenay-le-Comte
prenait le nom de
Fontenay-le-Peuple.
L'ARMÉE S'EMPARE
D'INGRANDES, CANDÉ,
SEGRÉ,
CHATEAU-GONTIER ET
LAVAL (23 Octobre)
L'armée se dirigea
d'abord sur
Ingrandes, dont elle
s'empara sans trop
de résistance, ainsi
que de Candé, Segré
et Château-Gontier.
« Le 23 octobre
enfin, l'année
parait devant Laval.
On relève son
courage et on la
remet en ordre en
lui lisant les
proclamamations
républicaines qui
l'appelaient
hordes de monstres,
lui attribuaient les
crimes de ses
ennemis, et la
vouaient au massacre
et à la noyade. Elle
s'élance sur les
quinze mille soldais
d'Esnue-Lavallée,
les met en déroute
et entre dans Laval.
La Rochejaquelin fut
encore sublime ce
jour-là : un
grenadier bleu
venait de le manquer
à bout portant. Il
le saisit et le
terrasse de la main
gauche (depuis
Martigné son bras
était toujours en
écharpe) quatre
paysans accourant et
vont égorger le
grenadier. - «
Arrêtez, leur crie
le héros, et
s'adressant au
républicain : Va
dite à tes camarades
que tu t'es mesuré
avec le général des
Brigands qui n'a
qu'un bras et pas
d'armes, qu'il t'a
jeté à terre et
laissé la vie ! »
Malgré les
espérances du prince
de Talmont (1) qui
avait à Laval
d'immenses
propriétés, on fit
peu de recrues et
les Vendéens, malgré
le concours de
quelques chouans du
Maine amenés par
Jean Cottereau, ne
durent guère compter
que sur eux-mêmes.

Le prince de Talmont
(1)
Philippe de Talmont,
second fils du duc
de la Trémoille,
avait mené jusqu'à
vingt-sept ans la
vie la plus
follement libertine.
Réveillé en sursaut
par l'explosion
révolutionnaire, il
seconda La Rouerie,
alla faire la
première campagne de
l'émigration, revint
assister
àl'exéculion de
Louis XVI, espérant
l'enlever à
l'échafaud, se
rejeta dans l'ouest,
où il fut arrêté, et
attendait la mort
dans les prisons
d'Angers, lorsque
l'abbé de la
Trémoille, son
frère, le racheta au
poids de l'or. Sommé
de choisir entre
l'Angleterre et la
Vendée : « Je
choisis la Vendée »,
s'écriat-il, et il
joignit à Saumur
l'armée royale, où
il exerça les
fonclions de général
de cavalerie. Arrêté
après l'affaire de
Nort, chez l'un de
ses maîtres de forge
au moment où il
essayait de
rejoindre sa
principauté de
Laval, il fut assené
au général Beaufort,
qui ne put empêcher
le prince d'être
décapité à Laval,
devant le château de
ses pères.
COMBAT DE LA CROIX
DE BATAILLE (25
Octobre 1793)
Après deux jours de
repos à Laval, la
Grande Armée fut, le
25, attaquée par les
Mayençais. Malgré
l'avis de Beaupuy,
qui faisait
remarquer que les
soldats étant
harassés, il valait
mieux attendre au
lendemain,
Westermann ne voulut
rien entendre. Sans
attendre les
divisions de Kléber,
de Canuel et de
Chalbos qui devaient
arriver le
lendemain, venant de
Nantes par la rive
gauche de la Loire,
il ordonne au
capitaine Hauteville
d'aller reconnaître
l'ennemi. Cet
officier charge les
premiers postes et
les oblige à se
replier. Le tocsin
sonne ; les
Vendéens, revenus de
leur première
frayeur et favorisés
par l'obscurité
prennent en queue
l'armée
républicaine, qui se
défend avec
acharnement. Le
désordre devient tel
qu'à l'instar de ce
qui s'était passé à
Saint-Fulgent, on
s'entre-massacre
sans se voir en
puisant aux mêmes
caissons. Stofflet
eut son cheval
étouffé entre ses
jambes. Un officier
bleu voulait
franchir un fossé,
le royaliste Keller
lui tend la main
sans le reconnaître;
puis apercevant son
uniforme à la lueur
d'une décharge, il
lui fend la tête
d'un coup de
sabre... Westermann
et Beaupuy
laissèrent une foule
de morts sur le
terrain et se
replièrent sur
Château-Gontier où
ils trouvèrent
Léchelle et Kléber.
Malgré l'avis de ce
dernier, et en dépit
du mauvais état des
Bleus (ils étaient
comme les Vendéens
sans pain et sans
souliers) une
bataille générale
fut résolue. Elle
eut lieu le 27
octobre.
BATAILLE DE
CHATEAU-GONTIER (27
Octobre 1793)
Averti dès le matin
des intentions de
l'ennemi, La
Rochejaquelein
dispose ses forces
avec une prévoyance
admirable « Mes
amis, dit-il aux
Vendéens, il s'agit
de venger la défaite
de Cholet et de
sauver vos femmes et
vos enfants ! » De
son côté, Lescure
soulagé par
l'espérance, veut
remonter à cheval on
l'en empêche de vive
force... Mais il
s'arrache de son
lit, se place à une
fenêtre et encourage
les Vendéens de sa
voix mourante.
Electrisés par ce
spectacle, tous les
chefs oublient leurs
dissentiments pour
triompher. Stofflet,
Royrand, Sapinaud,
Talmont, Forestier,
Donissan, Piron,
d'Autichamps (1),
Fleuriot attendent
les ordres de La
Rochejaquelein...
Du côté des Bleus
les bons généraux ne
manquent pas, sans
compter Kléber et
Marceau ; mais c'est
un imbécile qui les
commande et qui va
les perdre. Le
premier ordre de
Léchelle est un
modèle de « crasse
ignorance »
(expression de
Kléber ). On lui
obéit pourtant, et
le corps d'armée en
subit la peine. Une
batterie le protège
heureusement à
Entrammes ; mais
Stofflet s'avance
avec l'émigré
Saint-Hilaire. - «
Vous allez voir, lui
dit-il, comment les
Vendéens enlèvent
les canons. » Et sur
un signe de sa main,
Martin de la
Pommeraye et ses
braves se ruent sur
les pièces et les
retournent contre
les Bleus, après
avoir tué les
artilleurs. Henri,
cependant, ranime
tout de son courage
et dirige tout par
son sang-froid.
Voyant tomber M. de
Royrand et ses
soldats le pleurer :
« Nous le pleurerons
demain, vengeons-le
aujourd'hui ! Et ils
écrasent en effet
les Mayençais comme
un seul homme.
Ceux-ci voient alors
Léchelle en fuite et
abandonnent leur
artillerie.
Westerman, Kléber et
Marceau sont
entraînés par le
torrent. La déroute
des Républicains
devient générale.
Les Blancs allaient
s'égailler
pour les poursuivre
; Henri fait un tour
de force : il les
maintient en ligne.
Pressés par cette
masse compacte, les
Mayençais se
jettent dans la
Mayenne. Un seul
bataillon rend les
armes... C'est
celui qui a fait le
plus de mal dans le
Bocage. Sur l'ordre
de Stofflet, il est
cerné et fusillé en
masse. Bloss et
Beaupuy courent
au-devant des balles
vendéennes. Ce
dernier, enlevé du
champ de bataille,
adresse à ses
grenadiers sa
chemise trouée et
sanglante. Ils
l'arborent comme une
bannière et
recommencent le
combat. - « Eh bien
! s'écrie La
Rochejaquelein,
est-ce que les
vainqueurs
coucheront dehors et
les vaincus dans la
ville? » - Puis il
enlève lui-même la
position, chasse les
derniers Mayençais
de Château-Gontier
et pénètre vainqueur
dans cette ville, le
drapeau blanc à la
main, après douze ou
treize heures de
combat.
Le triomphe des
Vendéens était
complet. Il les fit
passer de
l'abattement du
désespoir au délire
de la joie. « Vive
le Roi ! Vive M.
Henri ! »
criaient-ils en se
partageant les
dépouilles des
Bleus.
Les ennemis mêmes de
La Rochejaquelein ne
purent lui refuser
leur admiration : «
Ce jeune homme,
écrivit Kléber, a
bravement gagné ses
éperons de
généralissime. Il a
montré dans cette
malheureuse bataille
une science
militaire et un
aplomb dans les
manœuvres que nous
n'avions pas
retrouvés chez les
Brigands depuis
Torfou. C'est à sa
prévoyance et à son
sangfroid que la
République doit
cette défaite qui a
consterné nos
troupes. » Et
plusieurs années
après, le général
Jomini, l'expert
stratégiste écrivait
aussi : « Cette
bataille place bien
haut ce jeune homme
dans l'estime des
gens de guerre. »
Que devenait
cependant Léchelle ?
Il fuyait l'armée
qu'il venait de
perdre, et il osait
dire aux derniers
Mayençais
« Qu'ai-je donc fait
pour commander à de
tels lâches ? » - «
Et nous ?
répondaient ces
braves expirants,
qu'avons-nous
fait pour obéir à un
tel jean-f... ? » -
« Quant à moi.
s'écriait
Westermann, je ne
lui obéirai plus !
j'aimerais mieux
servir sous les
Brigands que sous un
pareil homme ! »
Ainsi
hué par ses soldats
et destitué par ses
officiers, Léchelle
se réfugia à Nantes,
où il mourut de
honte entre les bras
de Carrier. On
prétend qu'il
s'empoisonna
lui-même :
il
ne pouvait périr
dignement que de sa
propre main.
Jamais la chance
n'avait tourné si
brusquement ni si
complètement.
L'armée républicaine
ne méritait plus ce
nom.
« Figurez-vous, dit
Kléber lui-même, un
tas de malheureux
mouillés jusqu'aux
os, sans tentes,
sans paille, sans
souliers, sans
culottes,
quelques-uns sans
habits, grelottant
de froid et n'ayant
pas un seul
ustensile pour faire
leur soupe...
Figurezvous des
drapeaux entourés de
vingt, trente ou
cinquante hommes au
plus, criant à
l'envi : « Les
lâches sont à l'abri
et nous périssons
ici dans la misère !
etc. » Tels étaient
les débris qu'il
fallut ramener
péniblement à Angers
(2). »
(1) D'Autichamps, né
à Angers le 8 août
1770 était en 1791,
adjudant-major de la
garde à cheval du
roi. La garde
constitutionnelle du
roi ayant été
licenciée le 5 juin
1792. Charles
d'Autichamps
continua son service
aux Tuileries,
jusqu'à la journée
du 10 août. Il se
rendit ensuite dans
l'Anjou et prit
part, dès le début,
à l'insurrection.
vendéenne, sous les
ordres de d'Elbée et
de Bonchamps.
Breveté maréchal de
camp en 1797, il
continua à prendre
une part importante
aux derniers
soulèvements ; fut
un moment qualifié
de général en chef
des armées
catholiques et
royales : des
derniers, il déposa
les armes, lors de
la pacification
définitive, le 4
février 1800. La
Restauration le fit
Lieutenant-général
et pair de France
(1814). Il mourut en
1852.
(1) Pitre-Chevalier,
467, 470.
LA
GUERRE DE GÉANTS
Eh
bien ! c'est ici que
la guerre de l'Ouest
devient des deux
parts une guerre de
géants !
A
Cholet la Vendée
entière était,
anéantie ; et dix
jours plus tard elle
ressuscitait
victorieuse. A Laval
la République
n'avait plus de
soldats, et douze
jours après elle
retrouvait une armée
!... Mais par quels
moyens, juste ciel !
Voici le sublime de
la Terreur !
Hommes et femmes,
vieillards et
enfants, sont mis en
réquisition
permanente... « Les
jeunes gens, dit
l'arrêté
révolutionnaire,
iront au combat ;
les hommes mariés
forgeront les armes
et transporteront
les subsistances,
les femmes feront
des tentes, des
habits et serviront
dans les hôpitaux ;
les enfants mettront
le vieux linge en
charpie, les
vieillards se feront
porter sur les
places publiques
pour exciter le
courage des
guerriers, prêcher
la haine des rois et
l'unité de la
République. ». On a
besoin de poudre !
Tous les bâtiments
en démolition sont
livrés à la
Commission des
Salpêtres... On
aggrave la loi des
suspects et on
appelle aux armes
tous les hommes
valides.
Ainsi la République
improvisa une
nouvelle armée.
Entre la guillotine
et le champ de
bataille, tout le
monde, préféra le
champ de bataille.
On mit les recrues
dans les villes et
les garnisons en
campagne. Poussés
par les
conventionnels,
elles arrivèrent
comme un torrent sur
tous les points
menacés (1).
Cependant les chefs
vendéens,
tranquilles à Laval,
délibéraient sans
pouvoir s'accorder
sur la marche qu'ils
avaient à suivre. Ce
n'était plus le
moment d'essayer de
repasser la Loire et
de rentrer dans
leurs foyers : ils
n'avaient qu'à
choisir entre la
pointe de la
Bretagne et celle de
la Normandie.
L'extrême Bretagne
où dominaient les
prêtres et les
nobles était prête à
se soulever; le
pays, coupé de
montagnes et de
forêts, leur aurait
fourni des moyens
faciles de
résistance, et sur
les bords de la mer
une communication
avec les Anglais.
L'extrême Normandie,
plus éloignée, mais
plus facile à
garder, leur offrait
la place de
Cherbourg, très
accessible du côté
de la terre, pleine
d'approvisionnements
de toute espèce, et
située de manière à
les mettre en
rapport avec la
croisière anglaise.
Ennuyé d'attendre la
décisionn du
Conseil, Stofflet
donna de sa propre
autorité le signal
du départ.
(1) Pitre-Chevalier,
Darmaing et
Bonnemaire, l'abbé
Prunier
Crétineau-Joly, Mme
de La
Rochejaquelein, etc.
OCCUPATION DE
MAYENNE ET DE
FOUGÈRES (2 et 3
Novembre)
MORT DE LESCURE (4
Novembre 1793)
Le jour de la
Toussaint, l'armée
abandonna Laval et
occupa
successivement
Mayenne, évacuée par
les 17.000 hommes du
général Lenoir,
fuyant sur le simple
avis que les
Brigands étaient à
quatre lieues (2 et
3 novembre). Le 4,
elle entra dans
Fougères, après en
avoir chassé
l'ennemi. Ce fut
près de cette
dernière ville, au
village de la
Pèlerine, qu'après
vingt jours
d'agonie, mourut le
Saint du Poitou,
Lescure, en
adressant à sa femme
ces belles paroles :
J'ai toujours servi
Dieu avec piété,
j'ai combattu et je
meurs pour lui ;
j'espère en sa
miséricorde.
J'ai souvent vu la
mort et je ne la
crains pas ; je vais
au ciel avec
confiance. Je ne
regrette que toi :
j'espérais faire ton
bonheur. Si jamais
je t'ai donné
quelque sujet de
plainte,
pardonne-moi. »
C'était le 4
novembre Lescure
n'avait que 27 ans.
A Fougères, où l'on
resta quatre jours,
les officiers
royalistes
s'assemblèrent pour
déterminer la marche
à suivre. L'armée
était décimée par
les maladies ;
l'hiver approchait,
que faire ? Tout à
coup un transfuge se
présente : c'est
d'Oppenheim,
officier du génie.
Il persuade aux
chefs vendéens
d'assiéger
Granville, avec
l'appui d'une flotte
anglaise qui ne vint
pas.... Et les
Vendéens, malgré
l'avis de Marsange
et de la
Rochejaquelein,
allèrent se faire
broyer à Granville.
ARRIVÉE DES VENDÉENS
A DOL (9 Novembre)
Le 9, l'armée royale
arriva à Dol qui fut
occupé sans combat.
Elle mit à
contribution les
principales
notabilités de la
ville, pilla
diverses maisons et
s'empara de linge,
vivres, blé, etc.
Épuisée par de
longues marches dont
elle n'avait pas
l'habitude, atteinte
de ce mal du pays
qui consume le
Breton et le Vendéen
loin de leurs
chaumières, elle
éclate en murmures,
n'écoute plus la
voix de ses chefs ni
des abbés Bernier et
Jagault ; elle veut,
malgré La
Rochejaquelein,
reprendre le chemin
du Bocage.
SIÈGE DE GRANVILLE
(14 Novembre 1793)
Après avoir occupé
Avranches et
Pontorson (10
novembre), La
Rochejaquelein
assiège en vain
Granville avec
trente mille hommes
découragés. Il somme
la place de se
rendre « au nom de
l'humanité et de la
religion ». Le
conventionnel Le
Carpentier et les
généraux Peyre et
Vachot, entourés de
toutes les forces du
pays leur répondent
à coups de canons.
Ils savent que les
Vendéens, toujours
malheureux dans les
sièges, n'ont pas
même d'échelle pour
monter à l'assaut,
et que l'Angleterre
n'enverra ni flotte
ni artillerie.
Cependant Talmont,
La Rochejaquelein,
Donissan, Forestier,
Scépeaux (1), etc.,
pénètrèrent
hardiment dans les
faubourgs... M. le
Grand de la Liraye,
toujours au premier
rang, dispose les
pièces d'attaques
avec une telle
adresse qu'il balaye
les républicains.
Mais en quittant les
faubourgs ils y
mettent le feu et ce
nouvel ennemi arrête
les Vendéens.
Bientôt les flammes
se retorunent contre
ceux qui les ont
allumés. Marigny les
avive encore en
tirant à boulets
rouges sur la ville.
Les assiégés veulent
aller éteindre le
feu qui consumme
leurs maisons. Le
Carpentier les
arrête, le fusil sur
la gorge. Le
municipal Desmaisons
meurt sur la brèche,
en y traînant des
femmes et des
enfants chargés de
munitions.
Les Vendéens
reviennent à la
charge par la grève
; ils escaladent le
roc en y enfonçant
leurs baïonnettes :
ils vont entrer
cette fois dans la
ville et s'en
emparer à l'arme
blanche, lorsqu'un
déserteur, un
traître, leur crie :
« Fuyez ! Nous
sommes vendus !... »
Allard brûle la
cervelle au
misérable, mais le
coup fatal est
porté... Le cri de
trahison parcourt
les rangs... Les
plus braves
s'arrêtent... Les
autres les
entraînent. La nuit,
toujours funeste aux
paysans, met le
comble à leur
épuvante. Aux lueurs
de l'incendie qui
enveloppe Granville,
ils aperçoivent les
trois étages de
forts et de canons
qui les foudroient.
En vain La
Rochejaquelein les
ramène à l'assaut ;
en vain les prêtres
les y repoussent, la
croix à la main ; en
vain les femmes et
les enfants leur
crient : « Nous
sommes perdus si
vous n'êtes
vainqueurs ! »...
Rien ne peut arrêter
la déroute qui
renverse les chefs
et leur passe sur le
corps (2). - Les
défenseurs de
Granville
redeviennent alors
citoyens et
repoussent le feu
avec le même courage
que l'assaut (3).
(1) De Scépeaux, né
à Angers le 19
septembre 1768,
avait servi dans la
cavalerie jusqu'au
10 août 1792. Retiré
dans sa terre
d'Anjou, il se
joignit à son
beau-frère
Bonchamps, et suivit
l'armée vendéenne
sous Granville.
Après la défaite du
Mans, il resta sur
la rive droite de la
Loire, accepta la
pacification de
Charette, mais
bientôt reprit les
armes pour soutenir
Stofflet. Il joua un
rôle diplomatique
assez important avec
de Béjarry.
Emprisonné plus tard
à Angers, il
parvient à se faire
remettre en liberté,
pour reprendre les
armes. Il fit sa
soumission le 22
avril 1796. En 1809,
il prit du service
dans l'armée
impériale et passa
en Espagne. En 1814,
il participa à la
défense de Lyon
contre les alliés.
Il mourut général de
brigade à Angers, le
28 octobre 1821, âgé
de 53 ans.
(2) Après le dernier
combat, on trouva
sur le bord de la
mer plus de 1.200
cadavres étendus la
face contre terre,
et dépouillés de
leurs armes et de
leurs vêtements. -
Les Vendéens
perdirent environ
2.000 hommes.
(Launay, d'après un
témoin oculaire).
(2) Pitre-Chevalier
et Darmaing, p. 253.
VICTOIRE DE
PONTORSON (18
Octobre 4793)
Les Vendéens, après
avoir mis à sac
Villedieu,
retrouvèrent un
courage désespéré
pour reprendre le
chemin de leur
pays... Cernés par
tous les généraux et
par tous les
conventionnels qui
semaient leur route
de femmes et de
malades égorgés, ils
écrasent le 18
novembre, dans la
grande rue de
Pontorson, tout le
corps d'armée de
Triboust (1). Ce fut
une boucherie sans
quartier, durant
près de cinq
heures... M. Le
Grand l'avait, en
tirant sa montre,
annoncée par cette
héroïque
plaisanterie. -
« C'est à quatre
heures, mes amis,
que le bal commence
!... » Il ne finit
qu'à neuf heures et
laissa Pontorson
encombré de morts et
de mourants. Le
brave Forêt y resta
percé de balles.
Triboust avoua à la
Convention que son
armée, qui avait
perdu quatorze
pièces de canons et
des caissons, avait
été mise un peu en
déroute. Pendant ce
temps-là, sa femme,
autorisée par lui,
jouait la comédie
sur les théâtres de
Brest (2). La
victoire de
Pontorson ouvrait
les portes de Dol
aux Vendéens.
(1) Triboust, ancien
tambour-major, bon
grenadier, ne
sachant ni lire ni
écrire, mais maniant
parfaitement le
sabre et la
bouteille.
(2} Pitre-Chevalier
et Darmaing, page
253.
VICTOIRE DE DOL (20
Novembre 1793)
Malgré cet échec,
les généraux
républicains,
Marceau, Kléher,
Savary et Rossignol,
résolurent de cerner
Dol, où, les
royalistes étaient
entrés le 19
novembre, et de
détruire peu à peu
les débris de la
Vendée.
Westermann les sauva
en se ruant sur eux
le 20 novembre à
minuit. Le
Conseil de guerre
tenait encore
séance,
lorsqu'arriva de lui
une dépêche
annonçant que,
informé de la
situation misérable
des Vendéens, il
allait cette nuit
même du 20 au 21, se
jeter sur eux, se
déclarant sûr du
succès ; si l'on
faisait marcher une
colonne par la route
d'Antrain. Malgré
les objections des
généraux, Prieur et
les autres
représentants,
enthousiasmés au cri
de : « Mort aux
brigands ! » font
donner à Marceau
l'ordre d'opérer le
mouvement réclamé
par Westermann.
Mais celui-ci n'a
pas même attendu la
répônse à sa
dépêche. La
cavalerie de Bouin
de Marigny a couru
jusqu'à l'entrée de
Dol d'où elle a été
repoussée, et cette
bravade des hussards
a donné l'alarme aux
royalistes une heure
et demie avant
l'arrivée des
républicains. « Pour
la première fois, la
Rochejaquelein était
parvenu à établir
des patrouilles et
des sentinelles.
Lamasse énorme et
gémissante des
femmes, des blessés
et des invalides
était rangée des
deux côtés de la
rue. Au milieu
figuraient les
chariots, les
bagages et
l'artillerie de
rechange. Entre les
canons et les femmes
se tenait la
cavalerie, bride et
sabre en main, prête
à s'élancer au
combat.
Au premier cri de
mort aux brigands !
poussés par les
soldats de
Westermann, les
tambours annoncent
dans tous les camps
qu'il faut vaincre
ou mourir.
Les deux partis se
choquent dans
L'ombre, et les
Bleus reculent.
En avant la
cavalerie ! crie
Forestier, et il
enfonce les troupes
de Westermann.
Marceau, parti
d'Antrain vers deux
heures du matin, a
conduit sa colonne
jusqu'à une lieue de
Dol, mais Stofflet
lui barre la route
et résiste trois
heures. Muller
arrive à son tour,
mais ses soldats
ivres ainsi que lui,
n'apportent que le
désordre. Marceau
rétrograde vers
Kléber, et tous deux
joignent leurs
divisions. Westerman
et Marigny, digne
homonyme du Marigny
vendéen, sont
repoussés une
seconde fois. Ce
dernier, démonté et
désarmé, protège la
retraite avec un
admirable courage.
La Rochejaquelein
s'élance enfin au
secours de Stofflet
contre Kléber et
Marceau. Et ce
mouvement qui devait
compléter sa
victoire, la
compromet par la
plus fatale méprise.
Voyant leur général
s'échapper au galop,
les Vendéens le
croient en déroute
et rentrent à Dol en
criant : « Tout est
perdu ! » Un épais
brouillard ajoute
encore à l'horreur
de la nuit. Rien ne
saurait peindre le
désordre et le
désespoir de cette
armée de femmes, de
malades et de
soldats confondus. -
« Défendez-nous !
criaient les
malades... » Mourons
avec nos chefs,
répondaient quelques
braves. Mais la
majorité perdant la
tête et croyant voir
les Bleus, se
dispersait dans
toutes les
directions. Marigny
sabre en vain les
fuyards pour les
ramener dans les
rangs.
Les femmes du Poitou
relèvent les armes
qui jonchent la
terre et forment un
bataillon autour de
lui.
La veuve de
Bonchamps supplie
ses anciens soldats
de ne pas se
déshonorer. Mesdames
de Lescure et de
Donissan rappellent
au combat Stofflet
entrainé sous leurs
yeux. Les épouses,
armées de leurs
enfants, arrêtent la
fuite de leurs maris
comme jadis les
femmes Cimbres à
Verceil. Elles
prennent aux morts
leurs fusils et
crient avec délire «
Au feu, les
Vendéennes ! »
Les piètres, la
croix à la main,
ouvrent le ciel aux
braves et vouent les
làches à l'enfer.
L'abbé Doucin, de
l'île de Ré, crie à
deux mille hommes :
« Livrez-vous vos
familles aux Bleus !
non, c'est
impossible ! A
genoux, mes enfants,
recevez l'absolution
et allez mourir ! »
Et les deux
-mille hommes
s'élancent au cri de
« Vive le Roi : nous
allons au Paradis !
»
Cependant La
Rochejaquelein
apprend cette erreur
et ce désordre. Il
revient ventre à
terre. Il se montre
à tous. Il menace,
il supplie, il se
désespère : «
Mourons donc ! »
s'écrie-t-il, et les
bras croisés, il
affronte une
batterie
républicaine. La
mitraille vole
autour de lui sans
le toucher. - «
Allons, dit-il,
la mort ne veut
pas de moi ! »
Et il court à l'aile
droite où l'appelle
un feu roulant.
C'est Talmont qui,
avec huit cents
gars, arrête toute
l'armée bleue et lui
cache la déroute des
Vendéens ! Tant
d'héroïsme rallie
les fuyards les plus
égarés. L'abbé
Doucin arrive avec
ses deux mille
hommes. Stofflet,
Marigny et La
Rochejaquelein
s'unissent: «
Ménagez vos
dernières
cartouches, dit
le général aux
sauveurs de la
Vendée, ne tirez
qu'à bout portant !
» Et ces
malheureux qui se
croyaient vaincus,
détrompés enfin,
ressaisissent la
victoire. Rossignol
est enfoncé, Kléber
lui-même recule.
Les Mayençais font
d'inutiles miracles
de bravoure (1).
Marceau seul protège
la retraite jusqu'au
bois de Trans.
La joie des Vendéens
dépasse leur
épouvante. Rentrés
en triomphe à Dol,
ils remplissent la
vieille église en
chantant le
Vexilla Regis.
Ils s'agenouillent
devant l'abbé
Doucin. Ils
remercient leurs
femmes d'avoir
relevé leur courage.
Ils s'embrassent
comme des condamnés
graciés au pied de
l'échafaud (2).
(1) La fureur des
deux partis était
telle que les
combattants
s'étaient saisis
corps-à-corps et se
déchiraient avec
leurs mains.
(2) Extrait en
grande partie de
l'émouvant récit de
cette bataille fait
dans Bretagne et
Vendée, par
Pitre-Chevalier,
pages 477-78. Voir
aussi Darmaing.
NOUVEAUX SUCCÈS A
ANTRAIN. - BEAUX
TRAITS DES VENDÉENS
ET DES RÉPUBLICAINS.
- LA RECONNAISSANCE
SAUVE L'ABBÉ DOUCIN
Le lendemain, les
royalistes exténués
de faim et de
fatigue se mettent
en marche pour
retourner dans leur
pays, par Antrain et
Fougères. La
Rochejaquelein prend
la route de
Pontorson, et
Stofflet celle
d'Antrain. Bientôt
la Rochejaqnelein se
trouve sur la droite
des troupes
républicaines, qu'il
met en fuite.
Stofflet qui s'en
aperçoit arrive au
secours du
généralissime. On se
bat de part et
d'autre avec un égal
acharnement. Après
quinze heures de
combat, les
républicains battent
en retraite sur
Fougères et sur
Rennes, pendant que
les Vendéens
remplissent les rues
d'Antrain. Cent
cinquante
prisonniers et
blessés restés au
pouvoir des
républicains
venaient d'ètre
égorgés à Fougères,
pendant que les
femmes malades
subissaient le même
sort après avoir été
violées. On agite au
Conseil la question
de savoir si l'on
n'usera pas de
représailles, mais
l'abbé Doucin et les
généraux obtiennent
la grâce des Bleus,
qui sont renvoyés à
Rennes avec des
secours et ces mots
de La Rochejaquelein
: « C'est par des
actes d'humanité que
l'armée royale se
venge des cruautés
des ennemis ! »
Nous enregistrons
ces faits avec
d'autant plus de
plaisir qu'ils vont
malheureusement
devenir rares. Les
autorités de Rennes
répondirent à cette
générosité en
faisant trancher la
tête à M. de
Hargnes, pris par
les Bleus au. combat
d'Antrain. D'un
autre côté, la
Commission militaire
de Laval se vantait
« d'égorger les
fanatiques et les
scélérats par
douzaines, et
d'arracher de leurs
niches tous les
saints et toutes les
saintes du paradis
».
Honneur en revanche
aux vrais et bons
républicains qui
répudiaient ces
lâchetés ! L'abbé
Doucin venait d'être
arrêté et passait
devant un Conseil de
guerre. Un témoin à
charge osa raconter
comment le digne
prêtre avait sauvé
cent cinquante Bleus
à Antrain. Les juges
s'émeuvent, et au
risque de leurs
jours, absolvent
l'accusé (1).
Les Vendéens
pouvaient aisément,
après leur double
triomphe gagner les
ponts de Cé ou clé
Saumur, descendre
même sur Rennes et
rejoindre les
Chouans morbihannais
; c'était l'opinion
du curé de
Saint-Laud et du
généralissime,
tandis que le prince
de Talmont proposait
de retourner sur
Granville, qui
n'avait plus de
garnison ; la
plupart des chefs
adoptèrent cet avis,
mais une dyssenterie
cruelle décimait les
insurgés, qui
songeaient moins à
vaincre qu'à
retourner dans la
Vendée. Bref, rien.
ne put arrêter la
marche rétrograde et
fatale.
Les Bleus n'étaient
pas moins
désorganisés. Kléber
força l'incapable
Rossignol de céder
provisoirement le
commandement à
Marceau. Thomas
Séverin Marceau
n'avait alors que
vingt-quatre ans.
Né à Chartres en
1769, d'un procureur
de cette ville, il
avait salué la
Révolution qui lui
promettait la
gloire, et, est
parti enfant et
soldat du toit
paternel, il s'était
élevé d'exploit en
exploit au grade de
général. L'historien
royaliste Crétineau,
qui ne peut être
suspect, en fait un
éloge superbe et
mérité que nous
regrettons de ne
pouvoir reproduire
ici.
(1) Darmaing et
Pitre-Chevalier.
LES VENDÉENS
REGAGNENT ANGERS (3
Décembre 1793)
Marceau accepta le
commandement, et en
attendant le retour
de Turreau, rappelé
des Pyrénées
Orientales,
réorganisa l'armée
avec Kléher, qui
consentit à diriger
le plan et les
opérations de la
campagne. Mais
malgré son activité,
il ne put empêcher
les Vendéens
repassant par Laval,
de gagner avant lui
Angers, occupé
depuis deux jours
par les généraux
Danican et Boucret,
avec leurs
divisions. C'était
le 3 décembre. La
Rochejaquelein et
son conseil
ordonnent un assaut
général : Stofflet
promet le pillage.
Les paysans exténués
refusent l'un et
l'autre. Leurs chefs
les entraînent enfin
au combat. Il
s'agissait de
rouvrir la porte de
la Vendée ! Mais
Angers, bien défendu
par les
conventionnels
Levasseur,
Francastel,
Esnue-Lavallée et le
général Beaupuy qui
entraînèrent les
habitants aux armes,
fut sauvé.
Les Vendéens
cependant
assaillirent la
porte Cupif.
Plusieurs chefs s'y
firent tuer. Et La
Rochejaquelein
allait forcer la
position, quand le
républicain Marigny
le surprit par
derrière. Les
paysans se crurent
attaqués par
l'avant-garde de
Marceau, et prirent
en désordre la route
de Baugé par
Pellouailles et
Suette. Le siège
n'avait duré que
deux jours.
GÉNÉROSITÉ DE
MARIGNY
(RÉPUBLICAIN)
Marigny surpassa en
cette occasion son
homonyme vendéen
(1). Au moment ou
les Vendéens
battaient en
retraite,
l'intrépide Richard
Duplessis, qui avait
eu un œil crevé à
Châtillon, se lance
au galop à travers
les escadrons
républicains, reçoit
une affreuse
blessure qui ne fait
qu'exalter sa
fougue, tue le
premier hussard
qu'il rencontre et
pique droit au
général Marigny. «
Je viens de verser
le sang de vos
soldats : versez le
reste du mien ! »
Marigny lui jeta un
mouchoir pour bander
ses plaies et le
renvoya sain et
sauf. Il lui demanda
seulement pourquoi
les Vendéens
s'obstinaient à se
battre. Pour se
défendre contre la
République, répondit
Richard, résumant
ainsi d'un mot la
guerre.
Voyant ce brave
revenir au camp, La
Rochejaquelein
adressa à Marigny
les deux seuls
prisonniers faits
par ses soldats,
offrant d'en
échanger toujours
dix contre un. Un
instant après,
Marigny était coupé
en deux par un
boulet de canon (2).
La Convention, qui
l'eut destitué
vivant, crut devoir
honorer sa mémoire :
Elle offrit son
cheval de bataille à
son père, au nom de
la République.
Levasseur avait si
bien exalté les
Angevins, qu'après
le départ des
Brigands « ils
firent une
procession lustrale,
et brûlèrent
l'encens de la
patrie pour purifier
leurs murs du
contact royaliste
(3).
(1) Il s'appelait
Bouin de Marigny, et
était d'une noble
famille du Poitou. -
Parent du général
vendéen du même nom.
- « Chasseurs,
achevez moi »,
telles furent les
dernières paroles du
héros républicain.
(2) Pitre-Chevalier,
401.
(3) Pitre-Chevalier,
401.
RETOUR DES VENDÉENS.
- MORT DE BARRA
(20 Novembre 1793)
Cependant la Vendée
s'était émue au
retour de ses
enfants. La Bouère
et Pierre
Cathelineau
entreprirent de leur
ouvrir les Ponts de
Cé. Ils battirent à
Bressuire le général
Desmares, qui se
vanta en fuyant de
les avoir mis en
déroute.
« C'est alors que
mourut le jeune
héros Joseph Barra,
dont le nom est
devenu si populaire.
Depuis une année ce
républicain de douze
ans, ordonnance du
général Desmares, se
battait à la tête
d'un régiment de
hussards. Après
avoir chargé avec
fureur et terrassé
deux Vendéens, il se
fit tuer le 20
novembre (1) plutôt
que de se rendre
avec les deux
chevaux conquis par
sa bravoure. Le
noble enfant
envoyait à sa pauvre
famille, à
Palaiseau, tout ce
qu'il gagnait à la
guerre. La
Convention lui
ouvrit le Panthéon,
fit à sa mère une
pension de mille
livres, et
immortalisa son nom
en celui de Barra.
On
sait que M. J.
Chenier le place
dans le
Chant
du départ.
Tel était le système
de la république : «
d'une main elle
jetait la terreur à
ses ennemis, et de
l'autre la gloire à
ses amis, enfantant
ainsi d'un côté tous
les crimes et de
l'autre toutes les
vertus ».
(3) Chassin dit
qu'il fut tué le 7
décembre 1793, près
de Jallais.
BEAU TRAIT DE
MARCEAU
La Bouère et
Cathelineau
arrivèrent trop tard
devant Angers et
renvoyèrent leurs
gars à la charrue.
Marceau et Kléber
venaient d'entrer
dans la ville, où le
premier trouva
l'ordre de suspendre
le second. Il cache
cet ordre jusqu'au
lendemain et reçoit
alors contre-ordre.
Il montre l'un et
l'autre à Kléber en
lui tendant la main
; - « C'est toi qui
es mon général, lui
dit-il : je ne
demande que
l'avant-garde au
combat. » - « Sois
tranquille, répond
Kléber, nous nous
battrons et nous
nous ferons
guillotiner ensemble
».
Ce trait de
chevalerie repose
l'âme au milieu
d'une telle époque.
LES VENDÉENS ENTRENT
A BAUGÉ. - LA FLÈCHE
ET LE MANS
Après être entrés à
Baugé sans coup
férir, les Vendéens
s'attendaient à
marcher sur Saumur
et Tours, mais comme
pour suivre cette
direction il aurait
fallu prendre la
levée de la Loire
qui était occupée
par la division de
Kléber, le conseil
décida qu'on
marcherait sur le
Mans, par la Flèche.
Les paysans du Maine
passaient pour être
royalistes :
d'ailleurs c'était
se rapprocher de la
Bretagne, où l'on
pouvait trouver aide
et appui.
Le 8 décembre, à
l'approche de la
Flèche, la tête de
l'armée aperçoit le
pont coupé, et
quatre ou cinq mille
hommes retranchés
fortement sur la
rive droite du Loir.
L'arrière-garde est
mise en déroute par
Westermann, et la
situation des
Vendéens devenait
critique. De la
Rochejaquelein la
sauve par un coup de
vigueur et d'audace.
Il s'empare du
faubourg
Ste-Colombe, d'où
son artillerie
balaie les troupes
ennemies, couvre la
ville de projectiles
et renverse la
flèche de l'église
sur les assiégés. Il
prend ensuite trois
ou quatre cents
cavaliers qui
mettent en croupe
autant de
fantassins, remonte
la rivière à trois
quarts de lieue, la
passe au gué du
moulin de la
Bruyère, arrive le
soir aux portes de
la ville dans
laquelle il entre au
cri prolongé de «
Vive le Roi ! » Les
républicains
épouvantés fuient,
mais
l'arrière-garde,
commandée par
Talmont et Piron,
allait succomber
dans la lande des
Clefs quand le
jeune vainqueur
arrive. Il fait un
grand signe de
croix, et s'élance
au galop de son
cheval à travers les
épais bataillons des
ennemis qu'il met en
pleine déroute. La
victoire était
complète, mais au
prix de combien de
sacrifices
L'église de la
Flèche était pleine
de malades et de
blessés : le sang
inondait les parvis
du temple et les
prêtres qui
accompagnaient
l'armée ne
quittaient l'autel
que pour absoudre
les mourants.
La plupart des
officiers étaient
restés à la Flèche,
où la troupe prit un
jour derepos. De la
Rochejaquelein leur
reprocha de l'avoir
laissé combattre
presque seul : «
Messieurs, leur
dit-il, ce n'est pas
assez de me
contredire au
conseil, vous
m'abandonnez au feu
». Et oui, quelques
chefs commençaient à
abandonner leurs
soldats avec
désespoir, et
Beauvolliers
avait déjà donné ce
fatal exemple.
Mais Westermann va
revenir en force. Où
aller ? Les paysans
qui désertent
rencontrent le sabre
des Bleus ; les
autres s'élancent
avec de la
Rochejaquelein sur
la route du Mans.
Westermann passe la
Loire à la nage pour
les exterminer, suit
leur trace semée de
cadavres, mais ne
peut les empêcher
d'entrer au Mans, à
la suite de
Stofflet, Forestier
et Amédée de
Béjarry. Ils.y
traînaient trois ou
quatre cents
prisonniers qu'ils
épargnèrent comme à
Laval, à la prière
de quelques nobles
femmes.
Les Vendéens étaient
encore vingt-cinq
mille environ, mais
tous plus ou moins
épuisés, tous
chargés de femmes,
d'enfants, de
vieillards et de
malades au nombre de
près de quarante
mille, lorsque le 10
décembre, ils
arrivèrent au Mans.
Ils avaient avec
eux, dit un
historien « 30
pièces de bons
canons de bronze,
des charettes
chargées de blé, une
cinquantaine de
carrosses remplis de
femmes, plus de
cinquante épouses
d'officier étaient à
cheval. » Le défilé
des Vendéens dura
plus de quatre
heures ; de la tête
à la queue, il y
avait plus de trois
lieues de distance.
A mesure qu'ils
arrivaient, ils se
logeaient dans les
maisons
particulières par
60, 80, 100,
réclamant « des
vivres, des
chemises, des bas,
sabots et vêlements
que chacun ne
pouvait leur
refuser. »
C'est dans cette
situation misérable
que Marceau et
Kléber rejoignent,
pour les achever,
Chabot et
Westermann.
Les horribles
journées du 12 et 13
décembre se lèvent
alors sur les deux
camps.
La Rochejaquelein
s'élance d'abord
au-devant de
l'ennemi, traverse
l'Huisme sur les
bords duquel
campaient les
chasseurs
républicains, et
remporte un léger
avantage. Mais en
rentrant dans la
ville pour y réunir
son armée, quel
spectacle désolant
frappe ses regards !
Les Vendéens, après
un mois de quasi.
inanition, se sont
gorgés de viandes,
de vins et dorment
ivres morts dans les
rues et sur la place
publique des halles.
Le général les
appelle, les secoue,
les harcèle en vain
; il ne peut mettre
sur pied que dix ou
douze mille
combattants. Et
Westermann, le
Boucher des
Vendéens, est
aux portes de la
ville ! Il repousse
les paysans vaincus
d'avance, les taille
en pièces, enlève
leurs barricades,
est rejoint par
Marceau et se rend
maître des rues.
BATAILLE DU MANS (13
Décembre 1793)
Mais les Vendéens,
enfin réveillés,
s'égaillent entre la
route de Tours et de
Chateaudun,
repoussent la
division Mûller et
les chasseurs de
Westermann qui
s'approchaient du
Mans par le chemin
de la Flèche. En
même temps, d'autres
Vendéens, retranchés
dans les maisons,
font pleuvoir une
grêle de balles ;
et, maîtres encore
de la moitié de la
ville, tiennent les
deux généraux en
échec jusqu'au
milieu de la nuit.
Alors paraît Kléber,
le mercredi 13, à
trois heures du
matin, et tout le
Mans redevient un
champ de bataille.
« Jamais, écrivait
un auteur de ce
drame, jamais vous
n'en exprimerez la
sanglante horreur !
Figurez-vous les
convulsions de
l'agonie aux prises
avec les convulsions
de la rage ; une
armée de bouchers et
de taureaux
s'entregorgeant dans
un abattoir, ou
plutôt des bandes de
démons s'exterminant
dans un feu de
poudre et de fumée.
La fièvre du sang
fut longtemps égale
de part et d'autre,
tant le désespoir
avait ranimé les
Vendéens. A chaque
décharge des Bleus,
c'étaient des cris
de : « Vive la
République ! »
et puis à chaque
riposte des Blancs
des cris de «
Vive le Roi ! »
si vigoureux, si
furieux, si
épouvantables que
toutes les murailles
de la ville en
tremblaient sur
leurs bases !
Ensuite il y eut un
épuisement général ;
les Républicains
tombaient sans
haleine à côté des
Royalistes.
Westermann lui-même,
l'indomptable
boucher, s'endormit
dans une maison,
d'où les Vendéens
fusillaient ses
soldats ! »
MASSACRE DU MANS. -
NOBLE ATTITUDE DE
KLÉBER, DE MARCEAU
ET DE QUELQUES
COMPAGNIES
Bientôt les
grenadiers de Kléber
reprennent le combat
: ils chargent à la
baïonnette,
enjambent des
monceaux de
cadavres, et après
une lutte suprême,
la plus horrible de
toutes, ils enlèvent
l'artillerie
vendéenne. Aussitôt
Bourbotte et Prieur
font massacrer les
derniers tirailleurs
dans les maisons.
Tous s'enfuient
alors comme un
torrent par la rue
Dorée. La
Rochejaquelein seul
parvient à régler la
retraite de quelques
braves.
Maître de la ville
encombrée de morts
et de blessés, de
chariots et de
canons, Marceau veut
y arrêter l'effusion
du sang. Il éloigne
donc Westermann
qu'il lance à la
poursuite des
fuyards. Mais il ne
peut d'abord
contenir ses propres
soldats ni les
sans-culottes,
entraînés au carnage
par le maire. Les
enfants, les
vieillards et les
femmes des brigands
sont traqués de
maison en maison,
rassemblés à coups
de sabre, puis
hachés, violés,
fusillés. Les
tricoteuses du Mans
égorgent avec leurs
enfants vingt-sept
mères respectées par
un peloton de
hussards. A la fin,
l'indignation de
Kléber et de Marceau
l'emporte : ils
arrêtent de leurs
mains les cannibales
au milieu de cette
orgie sanglante et
les ramènent
frémissants au
drapeau, en faisant
battre la générale
(1).
A côté de ces
généreux vainqueurs,
nommons ceux qui se
montrèrent dignes de
leur obéir. Les
grenadiers
d'Armagnac et
d'Aunis protégèrent
après le combat, et
sauvèrent les
malheureux qu'ils
venaient de battre.
Vidal,
lieutenant,-colonel
de hussards, donna
son équipement et la
vie à M.
d'Autichamps. Une
multitude
d'offîciers et
d'habitants se
dévouèrent ainsi au
salut des fugitifs
et des prisonniers.
Aussi quel cœur
n'aurait saigné à la
vue d'un semblable
désastre ! Depuis le
Mans jusqu'à Laval,
où s'était enfuie
l'armée, quinze
mille personnes de
tout âge, de tout
sexe avaient
succombé dans le
combat ou dans la
retraite. Sur cette
route de quatorze
lieues, on ne
pouvait faire un pas
sans se heurter à un
mort ou à un blessé.
Pas une famille qui
n'eût à pleurer une
partie ou la
totalité de ses
membres. Des
communes avaient vu
périr jusqu'à leur
dernier représentant
(1 - 2).
(1) Le roman a
popularisé la
charmante histoire
de Mlle des
Mesliers, munie d'un
sauf-conduit de
Marceau qui ne la
sauva pas à Laval
(22 janvier 1794).
Ce furent encore le
jeune général en
chef, et Kléber, et
leur
adjudant-général
Savary qui tirèrent
non seulement Mme de
Boguais et ses trois
filles du milieu de
la déroute, mais en
même temps
réussirent à
apitoyer sur le sort
de toutes les
Vendéennes celui-là
même des
commissaires de la
Convention que sa
qualité de membre du
Comité du salut
public rendait
logiquement le plus
implacable exécuteur
des ordres de
destruction des
brigands. - « Ton
intention n'est sans
doute pas, dit
Savary à Prieur (de
la Marne) que ces
femmes restent
exposées aux
outrages de la
troupe qui nous suit
, je vais pourvoir à
leur sûreté. » «
Oui, tu feras bien,
répondit Prieur ! »
(2)
Pitre-Chevalier et
Chassin. - La Vendée
patriote, T. III,
page 419.
(3) La lettre
écrite le jour même
à la Convention par
Bourbotte Prieur (de
la Marne) et
Turreau, donne des
détails
épouvantables sur la
défaite et le
massacre, qui durait
depuis quinze heures
au moment de l'envoi
de la dépêche.
(Chassin. - La
Vendée patriote, T,
III, page 416). -
Consulter aussi Le
Mémoire de Mme de la
Rochejaquelein sur
le même sujet, et
l'ouvrage fort
intéressant de
l'abbé Prunier,
intitulé La Vendée
militaire.
MARCHE DOULOUREUSE
VERS LA LOIRE. -
BATAILLE ET DÉFAITE
DE SAVENAY (23
Décembre 1793)
Après avoir perdu
dix mille
combattants, presque
autant de femmes,
d'enfants et de
vieillards, la plus
grande partie de
leurs bagages et de
leur artillerie, ils
arrivent pendant la
nuit avec un reste
d'armée qui semble
un convoi funèbre.
La Rochejaquelein ne
songe plus qu'à
reconduire ces
infortunés dans
leurs chaumières...
si leurs chaumières
existent encore !...
Il place les femmes
et les blessés au
centre : ceux qui ne
peuvent marcher sont
portés par les
autres... Et cette
hécatombe humaine
avance jour et nuit
sous la pluie glacée
de l'hiver, et sous
l'épée insatiable de
Westermann.
Le 14 décembre les
Vendéens quittent
Laval pour se
diriger sur Ancenis
en passant par
Cossé, Craon,
Pouancé et
Saint-Mars-la-Jaille.-
A Craon, l'hôpital,
l'église et les
maisons
particulières sont
encombrés de blessés
et de malades qu'il
faut abandonner à la
fureur de l'ennemi.
Le 16, sur les dix
heures du matin,
l'avant-garde
arrivait à Ancenis,
conduisant avec elle
sur un chariot, une
barque prise dans
l'étang du château
de
Saint-Mars-la-Jaille.
La Loire coulait à
pleins bords, et sur
la rive droite il
n'y avait qu'un seul
bateau. Sur l'autre
rive étaient
amarrées quatre
grandes barques et
toutes chargées de
foin. Voyant que
personne n'osait
tenter le passage,
La Rochejaquelein
prit le parti de
passer le premier;
il comptait
s'emparer de ces
bateaux de vive
force, protéger le
débarquement, et
surtout empêcher les
Vendéens de quitter
leurs drapeaux à
mesure qu'ils
mettraient le pied
sur cette rive
gauche, après
laquelle ils
soupiraient depuis
si longtemps. La
Rochejaquelein et
Stofflet entrèrent
dans le batelet
qu'on avait apporté
sur une charrette ;
de Laugerie entra
dans l'autre avec
dix-huit soldats ;
l'avant-garde tenait
les yeux fixés sur
ces deux bateaux qui
portaient la fortune
de l'armée. En même
temps on rassemblait
des planches, des
tonneaux, des bois
de toute espèce pour
construire des
radeaux, pendant que
l'abbé Bernier
prêchait les paysans
pour éviter tout
désordre.- Mais une
chaloupe canonnière
venue de Nantes
s'embossait
vis-à-vis d'Ancenis
et coulait bas les
radeaux et les
frêles embarcations
qu'on avait
improvisées. Trois
ou quatre cents
Vendéens à peine
atteignirent l'autre
bord. La
Rochejaquelein,
occupé à faire
débarrasser les
bateaux de foin, fut
avec ses deux
compagnons attaqué
et poursuivi par une
patrouille ennemie.
Forcé de se retirer
au fond d'un bois,
dit de
Chateaubriant, « il
se retrouve seul
dans cette Vendée,
au milieu des champs
de bataille déserts
où il ne rencontre
plus que sa gloire
».
Séparés ainsi de
leurs chefs qu'ils
croient morts ou
captifs, les
Vendéens
s'abandonnent au
désespoir. Il fallut
évacuer Ancenis, où
l'artillerie de
Westermann venait de
lancer quelques
boulets. Des soldats
abandonnent leurs
drapeaux, vont se
cacher dans la
campagne, ou
remontent et suivent
le fleuve pour
chercher un passage.
D'autres, confiants
dans les émissaires
de Carrier qui
promettait la vie
sauve à ceux qui
rendront les armes,
se dirigent vers
Nantes où le
proconsul les fait
fusiller à leur
arrivée ; enfin
mille à douze cents
passent la Vilaine
entre Nieux et
Redon, pour aller
former le noyau des
bandes chouanes qui
bientôt désoleront
la Bretagne. - Enfin
10.000 combattants,
derniers débris de
la Grande-Armée,
arrivent sans
général à Nort, où
une scission grave
s'opère entre les
chefs qui, dit-on,
voyant que la
dissolution était
prochaine, se
partagent la caisse
de l'armée.
Les uns se jettent
dans la forêt du
Gâvre avec Sapinaud,
Forestier, etc., les
autres, arrivés à
Blain, nomment
Fleuriot (1) général
en chef, au grand
chagrin de Talmont
qui les abandonne.
La rivalité jusque
dans la ruine !
Enfin quelques
milliers de braves,
exténués, à
demi-nus, les uns
vêtus de robes, les
autres coiffés de
turbans, ceux-ci
enveloppés de
rideaux, commandés
par Marigny, Piron,
Desessarts,
Donissan, Lyrot,
Tinguy, Beauvolliers
jeune, l'abbé
Bernier, etc.,
évacuent Blain, où à
l'abri du château
crenelé, ils ont
repoussé
l'infanterie légère
et s'arrêtent à
Savenay, leur
dernier refuge, au
milieu d'un cercle
de feu tracé par
Marceau, Kléber,
Westermann, Beaupuy,
Canuel, Savary et
toutes les forces
républicaines.
Le soir du 22, elles
enveloppent la ville
et forment un.
croissant sur les
hauteurs. Westermann
propose d'attaquer
pendant la nuit,
mais Kléber s'y
refuse, disant «
qu'il avait trop
bien commencé
l'affaire pour la
laisser terminer par
un autre ».
Le lendemain 23, à
la pointe du jour,
Kléber monte à
cheval avec
Westermann et
Canuel. Il fait avec
eux une
reconnaissance
autour de la ville,
et trace à chacun le
chemin qu'il doit
suivre pour
l'attaque. C'était
le jour suprême de
la grande Vendée :
il rie fut pas le
moins glorieux. A
huit heures du
matin, sous une
pluie froide qui
entrait dans les
pores, le canon
et la fusillade se
font entendre. Les
Vendéens, les pieds
dans la boue,
chargent les
premiers avec tant
d'impétuosité qu'ils
font reculer l'avant
garde. Kléber arrive
et la ramène au feu
: Général, nous
n'avons plus de
cartouches. « Eh
bien ! répond
Kléber, ne
sommes-nous pas
convenus hier que
nous les écraserions
à coups de crosses ?
»
Canuel tourne
Savenay et l'attaque
sur la gauche :
Marceau se charge du
centre, et la
division de
Cherbourg s'avance
sur la droite. Le
pas de charge se
fait entendre
partout ; les
soldats s'élancent à
la baïonnette, et
bientôt les
Vendéens, écrasés
par le nombre
reculent, non sans
vendre chèrement
leur vie.
Marigny, avec les
plus braves, portant
le drapeau de Mme de
Lescure, revient
trois fois à la
charge et « intimide
la mort ellemême ».
Un enfant de
quatorze ans, le
jeune de la Voyrie,
ne l'abandonne pas
un instant. Les
collègues de Marigny
l'imitent de toutes
parts. Fleuriot cède
enfin, et gagne les
forêts voisines à
travers les canons
et les fusils, les
morts et les
mourants. Marigny,
Piron et Lyrot
veulent absolument
mourir. Ils rentrent
dans Savenay, face à
face avec Kléber.
Les deux derniers
tombent percés de
vingt coups. Lyrot
expire avec son beau
cheval blanc connu
des deux armées.
Marigny fait mieux
que de périr, il
assure le salut des
autres. Avec deux
canons pointés sur
la route de
Guérande, il arrache
aux Bleus les femmes
et les enfants : «
Femmes, sauvez-vous,
tout est perdu ! »
s'écriat-il, et une
heure durant le
combat recommença. -
Un brave canonnier
de Cholet servit sa
pièce jusqu'au
dernier moment,
pendant que
succombaient
bravement La
Roche-Saint-André
Des Nouhes, et le
jeune Armand de
Beaurepaire, âgé de
14 ans. Puis Marigny
bat en retraite le
dernier avec Mondyon,
Donissan et
Desessarts.
L'armée vendéenne
était dispersée sans
retour. Il ne
restait plus à
exterminer en détail
que les débris qui
n'avaient pas trouvé
la mort entre
Savenay, les marais
et la Loire (2).
C'était l'affaire de
Westermann et de
Carrier : ils s'en
acquittèrent
parfaitement...
Ici finit l'histoire
de la grande
guerre si
justement nommée ;
nous n'ajouterons à
l'éloquence des
faits que les
paroles suivantes du
général Beaupuy
adressées à Merlin
de Thionville, le
lendemain de la
bataille de Savenay.
« Enfin, mon cher
Merlin, elle n'est
plus, cette armée
royale ou
catholique. Des
troupes qui ont
battu de tels
Français peuvent se
flatter de vaincre
tous les peuples de
l'Europe réunis
contre un seul.
Cette guerre de
paysans, de
brigands, qu'on
affectait de
regarder comme si
méprisable, m'a
toujours paru, pour
la République, la
grande partie ; et
il me semble
maintenant qu'avec
nos autres ennemis,
nous ne ferons plus
que peloter. »
(1) Fleuriot, né à
Ancenis le 30
octobre 1738,
capitaine de
cavalerie en 1780 ;
chevalier de
Saint-Louis,
maréchal des logis
aux gardes du corps
du roi en 1785 avait
été un des premiers
engagés dans la
guerre civile, à
laquelle il survécut
; il
mourut le 20 octobre
1824. Avait d'abord
servi dans l'armée
de Stofflet, puis
dans celle de
Charette.
(2) Le butin ramassé
au Mans et durant,
toute la déroute
jusqu'à Savenay dut
être énorme. « Les
cinquantes carrosses
» et les carrioles
innombrables qui
suivaient « la
grande armée
catholique »
contenaient tous les
effets précieux de
la noblesse
vendéenne. Les
malheureuses femmes
qui avaient
accompagné leurs
maris, leurs pères
et leurs frères dans
cette folle
aventure, avaient
sur elles leurs
bijoux et leurs
bourses. Leur
dépouillement fut
sans doute pour
beaucoup des
vainqueurs une
source
d'enrichissement
mais aussi de
démoralisation
profonde.
« Le trésor formé
des dépouilles des
églises des villes
traversées, et que
le faux évêque
d'Agra avait
entassées, brisées
pour la fonte, dans
trois cabriolets fut
saisi sur la place
de l'Eperon par les
cavaliers de
Westermann. C'est de
là que le général
tira « les
dépouilles
épiscopates » qu'il
étala à la barre de
la Convention ». -
La Vendée patriote.
- T. II, page
439. |