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Louis
XVII est-il mort au Temple ?
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Portrait de
Louis XVII attribué à Elisabeth Vigée Lebrun,
National Gallery
L'enfant mort
dans la prison du Temple, le 8 juin 1795,
était-il bien Louis XVII, héritier du trône et
fils de Louis XVI et de Marie-Antoinette ? Sur
sa mort, les rumeurs les plus folles ont
couru : échanges d'enfants, prétendants
surprise, impostures et retournements de
situations… Durant plus de deux siècles, le
mystère a perduré. Où en est-on aujourd'hui ?
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La naissance d'un mystère
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L'enfant du donjon du Temple
Le
13 août 1792, le maire de Paris conduit la
famille royale vers son ultime résidence, la
prison du Temple. Le Dauphin, qui n'a alors que
sept ans, passe des fastes de Versailles au
donjon du Temple. Le 21 janvier 1793, Louis XVI
est guillotiné : le Dauphin devient Louis XVII.
Héritier du trône mais toujours enfermé, il est
rapidement séparé du reste de sa famille. On le
confie au cordonnier Simon qui l'éduque comme un
sans-culotte. En 1793, pendant le procès de
Marie Antoinette, il témoigne contre sa mère : inceste,
incitation à la débauche, vices en tout genre
sont reprochés à la reine, qui est exécutée le
16 octobre 1793.
En
1794, en pleine Terreur jacobine, le traitement
de l'enfant est durci. Le petit Louis est livré
à lui-même : gardé par quatre commissaires, il
vit dans un cachot que la lumière du jour
n'atteint pas. Il ne se lave pas, ne se change
pas, vit misérablement, et bientôt, son état de
santé s'aggrave. Au mois de mai 1795, le docteur
Desault, médecin-chef de l'Hôtel-Dieu, raconte :
"J'ai trouvé un enfant idiot, mourant,
victime de la douleur la plus abjecte, de
l'abandon le plus complet, un être abruti par
les traitements les plus cruels et qu'il est
impossible de rappeler à l'existence." Le
8 juin 1795, après de longs mois d'agonie,
l'enfant meurt dans les bras d'un de ses
geôliers. L'autopsie, pratiquée le
lendemain, révèle que l'enfant est mort d'une
tuberculose généralisée très douloureuse. Il
n'avait que 10 ans. |
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Les adieux de
Louis XVI à sa famille
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La prison du Temple
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Les rumeurs
Les hypothèses les plus fantaisistes
mais aussi les thèses les plus solides n'ont cessé
d'affirmer que le petit garçon mort à la prison du
Temple n'était pas Louis XVII. Ainsi, certains
pensent que, pour des raisons politiques, on aurait
substitué à l'orphelin du Temple, qui serait décédé
quelques mois avant, un enfant malade qui serait,
lui, mort le 8 juin 1795. D'autres soutiennent que
Louis XVII ne serait pas mort à la prison du Temple
mais qu'il aurait été sauvé afin de préserver
l'avenir de la dynastie. Il faut avouer que tout a
été fait pour laisser libre cours à l'imagination
des uns et des autres.
Prétendument enseveli dans le cimetière
Saint-Marguerite, le corps n'a jamais été retrouvé
et pour cause : il a été jeté dans une fosse
commune.
Dès
le 12 juin, la "Gazette française" rapporte : "La
mort du fils de Louis XVI a donné lieu à divers
bruits, à une foule de fables plus absurdes les unes
que les autres. Les uns prétendent que cette mort
est un fait à plaisir, que le jeune enfant est plein
de vie, qu'il y a très longtemps qu'il n'est plus au
Temple et qu'une des principales conditions de la
paix conclue avec la Prusse, les Chouans et les
Vendéens était de confier ce jeune orphelin aux
puissances étrangères. D'autres assurent au
contraire qu'il y a plus d'un an qu'ils avaient la
certitude que l'enfant était mort empoisonné. Le
plus grand nombre des incrédules, cependant,
reportent tout l'odieux d'un crime imaginaire sur le
gouvernement."
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Les faux dauphins
Au
fil du temps, une multitude d'imposteurs ont
prétendu être Louis-Charles de France ou
descendre de lui. Parmi eux, les plus célèbres
restent Jean-Marie Hervagault, Mathurin Bruneau,
Claude Perrin et Karl-Wilhem Naundorff.
Jean-Marie
Hervagault, le premier imposteur
Le
premier "faux dauphin" à se manifester est
Jean-Marie Hervagault. D'origine modeste, fils
d'un tailleur de Saint-Lô, c'est un spécialiste
du changement d'identité. Son physique avenant
lui permet toutes les audaces. Au cours de ses
pérégrinations, il s'invente des origines
prestigieuses, se faisant passer tantôt pour le
fils du prince de Monaco, tantôt pour celui du
duc de Madrid, ou encore pour le neveu du comte
d'Artois et de Marie-Antoinette. Parfois, il va
jusqu'à se travestir en jeune fille. En 1801, il
n'a guère de mal à convaincre une poignée de
nobles champenois qu'il est le légitime héritier
du Trône. Le triomphe est bref. Le 16 septembre
1801, à Vitry-le-François, il est arrêté. En
1806, la justice l'intègre au bataillon colonial
garnissaire de Belle-Ile mais il parvient
rapidement à s'enfuir. Traqué par la police, il
est à nouveau incarcéré et meurt à la prison de
Bicêtre le 8 mai 1812.
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Portrait de Louis
XVII
Tableau de Kucharsky © Château de
Versailles |
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Portrait du Dauphin en
uniforme national par A. Moitte
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Mathurin Bruneau - Sabotier et prince de sang
Mathurin Bruneau né à Vézins, fils d'un sabotier
angevin, se fait passer pour un mendiant de
naissance royale. En 1802, il se rend au château d'Angrie
où il se fait héberger et soigner comme un prince
par M. de Turpin, auprès de qui il se fait passer
pour le Dauphin. Quelques mois plus tard, la
supercherie est découverte par les châtelains
voisins. On le retrouve ensuite fantassin puis
voleur à New York et à Baltimore. En 1815, de retour
d'Amérique, il réclame le trône à son "oncle", Louis
XVIII, qui, bien sûr, le lui refuse. Il tente alors
de prouver sa véritable identité en écrivant à sa
"sœur" la Duchesse d'Angoulême qui lui envoie une
liste de questions auxquelles elle seule et son
véritable frère pourraient répondre. Il n'a jamais
reçu cette lettre conservée aujourd'hui aux Archives
Nationales. Emprisonné au Mont St-Michel pendant
cinq ans, il y meurt en 1825.
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Claude Perrin - Le caméléon
Tout comme les autres "faux dauphins", Claude
Perrin est un aventurier. On ne sait comment il
parvient à se faire délivrer, à Arles, un
passeport sous le nom de Louis-Charles Bourbon.
En 1820, il est arrêté dans la principauté de
Modène et écroué, sans être passé en jugement, à
la prison Santa-Margharita. Une fois relâché, on
le retrouve sous le nom de Baron Augustin Pictot,
Colonel Gustave, Henri Hébert ou encore Comte de
Richemont. Dénonçant l'arrivée de Louis-Philippe
au pouvoir, il se fait remarquer et est enfermé
à Sainte-Pélagie en 1833. Inculpé de cinq chefs
d'accusation dont "complot contre la vie du roi
et la sûreté de l'Etat", il comparaît en octobre
1834 devant les assises de la Seine. Condamné à
douze ans de détention, il s'évade aussitôt. Se
proclamant duc de Normandie, il finit
tranquillement sa vie, allant de château en
château et abusant les uns et les autres. Il
s'éteint en 1853, auprès de la comtesse d'Apcher,
chez qui il s'est établi.
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Portrait de Louis
XVII
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Karl-Wilhelm Naundorff |
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Karl-Wilhelm Naundorff - Le plus crédible
D'origine prussienne, Karl-Wilhelm Naundorff,
horloger à Spandau, faux-monnayeur à Brandebourg,
fondateur d'une secte teintée de christianisme à
Londres, a fréquenté toutes les prisons d'Europe.
Après avoir tenté en vain d'être reçu, à Prague, par
la duchesse d'Angoulême, sœur de Louis XVII, il
débarque à Paris en 1833 et parvient a se faire
reconnaître comme étant le Dauphin par l'ancienne
femme de chambre de Louis XVII. Elégant, cultivé, il
rassemble un flot de partisans. En 1836, il assigne
en justice la duchesse d'Angoulême, afin d'obtenir
les biens revenant à Louis XVII. Il est alors
expulsé en Angleterre, puis aux Pays-Bas et meurt
finalement à Delft en 1845. Sur sa tombe, le
gouvernement hollandais a tout de même fait graver :
"Ci-gît Louis de Bourbon, Duc de Normandie."
Naundorff est le seul de ces quatre imposteurs à
être parvenu à convaincre un véritable cercle de
fidèles de son vivant. Une mystification qui aura
une suite, puisque ses descendants saisiront en vain
la justice française en 1851 et 1874. |
La fin d'une énigme
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Les tribulations du cœur
Au
moment de l'autopsie, en 1795, le docteur Pelletan,
médecin-légiste, parvient à subtiliser le cœur de
l'enfant avant que le corps ne soit recousu. Il le
conserve dans une urne de cristal, où a été versé de
l'esprit-de-vin (alcool éthylique). Dix ans plus
tard, tout l'alcool présent dans l'urne s'est
évaporé. Le cœur connaît alors une destinée troublée
: volé par l'un des élèves du médecin, il lui est
restitué avant d'être remis à Mgr de Quelen,
archevêque de Paris. Fin juillet 1830, le cœur est
pris par un insurgé lors des manifestations de
Juillet. L'urne renfermant le cœur se brise et le
cœur est perdu dans la cour de l'archevêché.
L'insurgé, ayant conservé les documents accompagnant
le cœur, connaît sa provenance. Il décide alors
d'avertir le docteur Pelletan fils de la perte du
cœur : ce dernier le retouve miraculeusement sous un
tas de sable. À la mort de Philippe-Gabriel
Pelletan, en 1879, le cœur entre en la possession de
l'un de ses amis, Prosper Deschamps. Après de
nombreuses aventures, la relique est finalement
donnée au roi don Carlos d'Espagne, plus proche
parent des Bourbons, en 1895, à l'occasion du
centenaire de la mort de Louis XVII. Près d'un
siècle plus tard, en 1975, les Bourbons d'Espagne
remettent le cœur au duc de Bauffremont, président
du Mémorial de France à Saint-Denis.
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Le cœur de Louis XVII, dans une urne en
cristal |
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Le verdict de la science
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Funérailles
posthumes de Louis XVII, le 8 juin 2004
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En
avril 2000, des tests ADN sont pratiqués par
deux laboratoires de renommée internationale.
Les experts, le professeur Jean-Jacques Cassiman
de la KU Leuven en Belgique et le docteur Berndt
Brinkmann de l'université allemande de Münster,
analysent le cœur en comparant son ADN à celui
de la reine Marie-Antoinette. Le verdict tombe :
le cœur est celui d'un membre de la même
famille. Les conclusions des recherches sont
présentées à la presse le 19 avril 2000 et
exposées dans un livre de l'historien Philippe
Delorme, "Louis XVII, la vérité".
Le
8 juin 2004, les restes de l'enfant royal sont
déposés dans l'ancienne nécropole royale de
Saint-Denis. La cérémonie est organisée par le
Mémorial de France à Saint-Denis et présidée par
le plus proche parent actuel du Dauphin, le
prince Louis de Bourbon. Sont présents de
nombreux Bourbons mais aussi plusieurs
ambassadeurs et personnalités (Hélène Carrère d'Encausse,
Buzz Aldrin, J.J. Aillagon...). Pour la plupart
des spécialistes, l'analyse ADN du cœur,
conjuguée avec l'enquête menée sur son origine
et ses tribulations, est suffisante pour
attester de la mort du prince au Temple. Mais
pour certains, des doutes subsistent toujours.
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